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19 octobre 2014 7 19 /10 /octobre /2014 22:24

Dans son ouvrage Les voyages de François Mitterrand. Le PS et le monde (1971-1981), issu d'un mémoire de master, Judith Bonnin a analysé les 88 voyages à l'étranger effectués au cours de la décennie 1971-1981 par François Mitterrand après son accession au poste de Premier secrétaire du Parti socialiste, et jusqu'à son élection comme Président de la République française. Si la visite en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), en février 1981, de celui qui était alors candidat à la présidence de la République - et représenté sur un timbre nord-coréen dès décembre 1981 - a suscité de nombreux commentaires et interprétations, Judith Bonnin a replacé utilement cette visite - à l'invitation du Parti du travail de Corée - dans le contexte des relations qu'avait nouées le Parti socialiste dans différentes parties du Tiers Monde.

Secrétaire national au tiers monde à partir de 1975, Lionel Jospin a décrit avec précision les raisons de l'intérêt du Parti socialiste pour la RPDC, dans une note du 1er juin 1977 adressée à Robert Pontillon, responsable aux relations internationales du Parti socialiste, et à François Mitterrand, citée par Judith Bonnin : 

"Sans être particulièrement zélateurs d'un régime communiste où le culte de la personnalité atteint de hauts sommets, nous tenons compte dans notre attitude à l'égard de la Corée du Nord de la politique de relative indépendance affirmée depuis quelques années par ce pays par rapport à l'URSS et par rapport à la Chine (la Corée du Nord a été admise à la Conférence de Lima en 1975 au Groupe des pays non alignés et elle a noué dans le Tiers Monde un réseau de relations importants : avec le Sénégal par exemple)."

Cette note interne est particulièrement éclairante : d'une part, elle exprime les distances du Parti socialiste français - en tant qu'organisation politique - avec le système politique de la RPD de Corée ; d'autre part, elle apprécie les positions nord-coréennes à l'aune de leur volonté d'indépendance par rapport aux grandes puissances (ce qui rapproche Pyongyang de la tradition diplomatique française) et de la participation active de la RPDC au mouvement des non-alignés - faisant ainsi écho à la sensibilité "tiers-mondiste" des socialistes français à la même époque. Au demeurant, certains pays en développement avec lesquels Pyongyang avait noués des liens privilégiés étaient aussi proches de la France, comme le Sénégal que cite Lionel Jospin, ce qui ne peut qu'inciter à la prise en compte par la France de la diplomatie nord-coréenne. Par contrecoup, on observera que la fin de la guerre froide et la moindre influence du mouvement des non-alignés sont de nature à expliquer un relatif désintérêt de la France vis-à-vis de la Corée du Nord au cours du second septennat de François Mitterrand (1988-1995).

Entrevue entre François Mitterrand et Kim Il-sung, février 1981 (source : Naenara)

Entrevue entre François Mitterrand et Kim Il-sung, février 1981 (source : Naenara)

Sur le voyage de février 1981 au Nord de la péninsule coréenne, Judith Bonnin donne la composition exacte de la délégation officielle du Parti socialiste français - alors que beaucoup de témoignages négligent ce point : François Mitterrand était accompagné de Lionel Jospin, Gaston Defferre, Claude Estier, Jean-Marie Cambacérès, Serge Moati, Marie-Pierre Rieux et Brigitte Godet.

 

Source :

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30 septembre 2014 2 30 /09 /septembre /2014 21:11

Entre l'inauguration d'une exposition conjointe sur les fouilles des murailles de Kaesong et le soutien apporté par la France à des programmes dans le domaine de la sécurité alimentaire, les échanges entre Paris et Pyongyang s'intensifient, deux ans après l'ouverture d'une représentation diplomatique française dans la capitale de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) - et alors que le remplacement d'Olivier Vaysset par Emmanuel Rousseau à la tête du bureau français de coopération à Pyongyang, en novembre 2013, a permis de faire entrer les activités du bureau dans une phase plus opérationnelle.

C'est en 2003 que l'archéologue Elisabeth Chabanol a commencé à travailler sur le site de Kaesong, ancienne capitale du royaume de Koryo (918-1392), qui était alors menacé par le développement de la zone économique spéciale de Kaesong. La coopération qui s'est nouée depuis cette date entre l'Ecole française d'Extrême-Orient (EFEO) et le Bureau d'orientation pour la conservation du patrimoine national (BOCPN) de la RPD de Corée a contribué à la décision d'inscription du site au patrimoine mondial de l'UNESCO en juin 2013. Le 15 septembre 2014, une exposition conjointe franco-coréenne sur les fouilles de Kaesong a été inaugurée à Pyongyang, en présence notamment de Ryong Ju, directeur du BOCPN, des professeurs et des étudiants de l'Université Kim Il-sung, des chercheurs de l'Académie des sciences sociales de la RPD de Corée, d'Elisabeth Chabanol, représentant l'EFEO, d'Emmanuel Rousseau, directeur du bureau français de coopération en RPDC, et de Charlie Li Quanhua, représentant l'entreprise du BTP Lafarge S.A.

Tombes de la dynastie royale de Koryo, à Kaesong (14e siècle)

Tombes de la dynastie royale de Koryo, à Kaesong (14e siècle)

La France est également présente dans le domaine de la sécurité alimentaire. En début d'année 2014, un programme d'une valeur de 160.000 euros a été lancé en direction des habitants de la province du Hwanghae du Sud. Plus récemment, en juillet 2014, il a été décidé de confier un programme de 210.000 euros à Première Urgence, l'une des deux ONG françaises (avec Triangle Génération Humanitaire) présentes en permanence en Corée du Nord, pour une formation en boulangerie et en culture maraîchère. Cette seconde action bénéficiera également à 20.000 habitants de la province du Hwanghae du Sud.

L'Association d'amitié franco-coréenne se félicite de ce renforcement des coopérations franco-coréennes, alors qu'elle a pour sa part participé à des actions d'urgence pour venir en aide aux populations nord-coréennes - en liaison étroite avec des ONG ayant une expérience de travailler en Corée du Nord - et qu'elle a mis l'accent sur des échanges en matière de diversification des productions agricoles, d'une part, et de développement des échanges interuniversitaires d'autre part, à partir notamment des observations et des demandes recueillies lors de ses déplacements en RPDC.

Sources :

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2 septembre 2014 2 02 /09 /septembre /2014 23:17

Dans son numéro de septembre 2014, le mensuel Beaux Arts Magazine (qui tire à 50.000 exemplaires) revient sur l'affaire Ahae, dans un article titré "Ahae. Faux artiste et vrai escroc". Revenant sur une "inquiétante dérive du mécénat en France", la journaliste, Françoise-Aline Blain cite l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) en apportant quelques éclairages sur le mécénat de Ahae au musée du Louvre et au château de Versailles.

 

Observant que se pose la question du financement du mécénat en France, au-delà du drame et du scandale attaché au naufrage du ferry "Sewol" que possédait Yoo Byung-eun par personnes interposées, le mensuel cite l'AAFC :

"Benoît Quennedey, vice-président de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC), la première, en France, à avoir soupçonné le lien existant entre Ahae et Yoo Byung-eun, ne décolère pas : 'La baisse des crédits publics justifie-t-elle de vendre à un inconnu, au talent douteux, une réputation d'artiste ? Justifie-t-elle d'accepter tous les fonds, d'où qu'ils viennent ? A notre avis, les graves manquements à l'éthique dans le financement des musées exigent des réponses de l'administration française' ".

Pour être parfaitement honnête, c'est en France Bernard Hasquenoph, animateur du site Louvre pour tous, qui avait révélé que le photographe Ahae était Yoo Byung-eun. L'AAFC avait ensuite été la première, en France, à faire le lien avec le propriétaire du ferry "Sewol" en mentionnant par ailleurs une ancienne condamnation pour fraude et que son nom avait été mêlé à une affaire de suicide collectif. Ensuite, il est revenu au collectif de Coréens vivant en France Paris Copain le mérite d'avoir permis par leur action l'annulation de la participation de Ahae au festival des forêts de Compiègne, après qu'ils eurent écrit une lettre ouverte à Mme Aurélie Filipetti, alors ministre de la Culture.

 

Ayant poussé ses investigations, Françoise-Aline Blain n'a guère obtenu de réponse des bénéficiaires des largesses de Ahae, sinon une promesse qu'ils seraient plus vigilants à l'avenir... Mais elle nous apprend que le ministère des Affaires étrangères, sollicité, n'avait rien trouvé à redire à ces "mécénats" intéressants pour leur parrain, et que Tracfin aurait également été interrogé, sans qu'aucune mise en garde ne soit formulée.

En outre, l'AAFC rappelle que Henri Loyrette, ancien président du Louvre et qui avait été l'un des plus grands zélateurs de Ahae, a gagné des liens qu'il a noués dans cette affaire avec les officiels sud-coréens de devenir le commissaire culturel des années croisées France-Corée (2015-2016) ! Au-delà de cette inconvenante récompense, ni les diplomates sud-coréens qui ont "vendu" la marque Ahae, ni les hauts fonctionnaires français qui ont été complices de cette escroquerie n'ont été, à aucun moment, inquiétés ou mis en cause.

Affaire Ahae : "Beaux Arts Magazine" cite l'AAFC et revient sur les dérives du mécénat
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20 août 2014 3 20 /08 /août /2014 14:00

Ancien résistant avant de s’affirmer, dans ses fonctions de diplomate, comme l’un des meilleurs sinisants du Quai d’Orsay, Etienne M. Manac’h a été directeur d’Asie et d’Océanie au ministère des Affaires étrangères de 1960 à 1969 puis a servi comme ambassadeur en Chine de 1969 à 1975. Il était ainsi en poste pendant et après la reconnaissance officielle de la République populaire de Chine par la France du général de Gaulle en janvier 1964. Dans l’exercice de ses fonctions, il a également été l’un des principaux acteurs des relations entre la République française et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) suite à la décision du général de Gaulle, en 1968, d’établir des relations diplomatiques sous la forme d’échanges de bureaux commerciaux dans chacun des deux pays. Pour le présent article, nous avons consulté les tomes II et III de ses Mémoires d’extrême Asie – qui couvrent la période 1970-1973, en reprenant la graphie des noms coréens utilisée par Etienne Manac’h. Les Mémoires de l’ambassadeur de France Etienne Manac’h se présentent sous la forme d’un journal personnel, à partir des observations qu’il a recueillies au jour le jour et qui ont nourri, notamment, les télégrammes diplomatiques et les rapports du poste de Pékin à l’administration centrale du ministère des Affaires étrangères. Si le parti pris méthodologique choisi ne permet pas de revenir sur certaines interprétations qui auraient pu ensuite se révéler fausses, il permet d’avoir une appréciation immédiate, qui brille par sa pertinence, sur les événements non seulement en Chine, mais en Extrême-Orient, Etienne Manac’h étant lui-même chargé – comme il le précise – des « contacts discrets » avec les Coréens de RPDC. [1] Dans ce corpus d’autant plus important pour les relations France - RPDC que le ministère français des Affaires étrangères refuse toujours d’ouvrir ses archives et de communiquer (comme l’a notamment observé Frédéric Ojardias, dans son travail précurseur de mastère sur l’histoire des relations franco – nord-coréennes), la RPDC occupe une place importante : plusieurs dizaines d’occurrences, qui mettent l’accent tant sur le rapprochement sino – nord-coréen après 1970, l’appui apporté par la RPDC au Nord-Vietnam et au roi du Cambodge Norodom Sihanouk que, pour le sujet qui nous intéresse ici, les relations entre la France et la République populaire démocratique de Corée. Leur analyse fait (déjà) apparaître une extrême prudence des diplomates français, desquels Etienne Manac’h se distingue en formulant à plusieurs reprises des propositions à son administration centrale, cependant guère suivies.

Etienne Manac’h et Mao Zedong

Etienne Manac’h et Mao Zedong

Précisons d’emblée qu’Etienne Manac’h n’évoque ni les relations commerciales (qui doivent constituer a priori l’objet essentiel des relations bilatérales suite à l’ouverture croisée de bureaux commerciaux entre la France et la RPDC), actives dans les années 1972-1973, ni les événements culturels organisés notamment à Paris pour marquer l’établissement de relations bilatérales – comme une représentation du théâtre Mansudae à Paris en mars 1972.

 

Pour la RPD de Corée, Etienne Manac’h s’appuie sur diverses sources. Il s’agit d’une part de sources extérieures au gouvernement français, comme le roi du Cambodge Norodom Sihanouk, proche de la France et qui a passé une grande partie de ses années d’exil à Pyongyang, Harrison Salisbury, éditeur associé du New York Times ayant visité la Corée du Nord, ou encore le journaliste australien Wilfred Burchett, excellent sinisant lui aussi, et qui avait couvert les combats de l’Armée populaire de Corée et des volontaires chinois pendant la guerre de Corée (1950-1953). Il s’agit par ailleurs de ses collaborateurs et collègues plus directement en charge des questions nord-coréennes : le nom de « Serge » (sans plus de détails) revient à plusieurs reprises ; Tisserand, représentant de la France en RPDC, est évoqué une fois. Mais l’ambassadeur Manac’h cherche aussi à disposer de sources directes, et dispose pour ce faire d’une certaine latitude de son administration centrale. Un de ses contacts privilégiés est son confrère ambassadeur de la RPDC en Chine, et ils se rencontrent plusieurs fois seul (ou avec leurs épouses) – dans son journal, à la date du 16 novembre 1972, Etienne Manac’h rend compte d’une « soirée chez mon collègue de la Corée du Nord : nous sommes, Denise et moi, ses seuls invités ». Etienne Manac’h rendra son invitation en invitant à dîner l’ambassadeur Hyun Jun-keuk, avec son adjoint, en mars 1973.

 

A l’occasion d’une réception d’Alain Peyrefitte - alors parlementaire en mission - par le Premier ministre Zhou Enlai, en juillet 1971, lors de laquelle la question coréenne a été évoquée à l’initiative de la partie chinoise, l’ambassadeur Manac’h revient sur les conditions de l’établissement de relations entre la France et la RPDC. Il rappelle que l’initiative en revient au « général de Gaulle et [à] Couve de Murville », alors ministre des Affaires étrangères. Il observe que le protocole ainsi signé prévoyait « l’installation de missions commerciales permanentes capitales dans les deux capitales », mais que si « celle des Coréens a été ouverte à Paris », « la mission commerciale française est restée à l’état d’embryon mal constitué ». D’une formule assassine, Etienne Manac’h stigmatise la faible hauteur de vues de notre pays pour expliquer le peu d’intérêt français pour la RPDC : « On ferme les yeux sur cette Corée qui est bien distante de notre champ cantonal. » [2] A la date du 16 novembre 1972, il évoque une « longue conversation » avec Hyun Jun-keuk, ambassadeur de la République populaire démocratique de Corée en République populaire de Chine, sur la manière de « donner quelque substance aux rapports entre nos deux pays ». Mais Etienne Manac’h n’a pas de marge d'action (« Les temps ne sont pas mûrs. Est-ce même la peine de rendre compte au Département de cet entretien ? »). [3]

 

A une reprise, Etienne Manac’h mentionne un autre canal diplomatique que le poste de Pékin pour les relations entre la France et la RPD de Corée : à la date du 25 décembre 1972, il relève que « le Département accepte que l’ambassadeur de Corée du Nord en URSS, Gon Hui Gyong, se rende [à Paris] pour avoir, avec le directeur d’Asie, à titre privé, une discussion de caractère général » (ces derniers mots soulignés dans le texte). L’ambassadeur Manac’h souligne combien le ministère français des Affaires étrangères évite au maximum les échanges, en formulant les observations suivantes : « On brûle à l’avance le pont pour empêcher les intrus de le franchir. Notre ambassade à Moscou est priée de se dérober aux échanges de vues avec les Coréens. » [4] De fait, l’ambassadeur Manac’h apparaît comme alors l’un des rares contacts diplomatiques français autorisés à échanger avec les Nord-Coréens, l’intéressé remarquant qu’ « on me laisse le soin de maintenir occasionnellement le contact ». [5]

 

De fait, c’est bien de la partie coréenne que sont venues les initiatives et les propositions pour développer les relations bilatérales après l’étape fondatrice de l’ouverture de relations au niveau de bureaux commerciaux, alors que l’administration centrale manifeste pour sa part de l’ « embarras » selon les termes mêmes de l’ambassadeur Manac’h. [6]

 

Le soir du 9 juillet 1972, à la demande des Nord-Coréens, à l’occasion de sa visite en Chine, Maurice Schumann, ministre des Affaires étrangères, a eu un entretien avec l’ambassadeur Hyun Jun-keuk. [7] L’ambassadeur Hyun a tout d’abord transmis les salutations de Ho Dam, ministre des Affaires étrangères de la RPD de Corée. Il a ensuite mis en avant le communiqué intercoréen du 4 juillet 1972 – le premier accord conclu à ce niveau entre les deux parties de la Corée divisée – pour « exprime(r) le souhait que les relations entre les deux pays s’étoffent davantage et que l’on procède à des échanges de personnes ». S’il n’a alors pas été donné suite – sans exclure une réponse positive à l’avenir – à la proposition qu’Etienne Manac’h visite la RPD de Corée, le conseiller commercial français à Pékin s’est en revanche rendu en RPDC en mars 1973. Ce dernier a souligné avoir été « fort bien reçu », en précisant que Hi Chong-mok, vice-ministre des Affaires étrangères, avait « donné une réception en son honneur ». Etienne Manac’h donne son sentiment personnel qu’ « il conviendrait, à [son] avis, d’ouvrir en Corée du Nord un poste commercial qui resterait provisoirement dans la dépendance de [l’] ambassade » de France en Chine. [8]

 

Une autre suggestion de la partie coréenne formulée lors de ce même entretien s’est en revanche directement concrétisée : le déplacement en Corée du Nord de l’ancien ministre Jean de Broglie, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, en novembre 1972, dont « l’approche vers la Corée du Nord » a été « favorisé(e) » par « Serge ». [9]

 

La proposition nord-coréenne d’une rencontre, même « très brève et discrète », entre l’ambassadeur Hyun Jun-keuk et le Président Georges Pompidou lors de sa visite en Chine n’a pas reçu de réponse positive de la France. [10]

 

Dans ce contexte d’indécision de l’exécutif français, la diplomatie parlementaire devient l’un des principaux vecteurs d’échanges bilatéraux. A la date du 14 mars 1972, Etienne Manac’h mentionne la venue prochaine d’une délégation parlementaire au Nord de la Corée – notons qu'à la même époque une délégation de l'AAFC a été présente aux cérémonies ayant marqué, le 15 avril 1972, le 60ème anniversaire du Président nord-coréen Kim Il-sung, et qu'en faisait partie André Aubry, aujourd’hui président de l’Association d’amitié franco-coréenne.

 

Sur l’ensemble de la période, un « irritant » (pour reprendre un terme diplomatique aujourd’hui en vogue) entrave l’essor des relations entre la France et la RPD de Corée : le linguiste Jacques Sédillot, qui s’était rendu à Pyongyang en juin 1966 comme enseignant et traducteur, avait été arrêté en 1967 et condamné pour espionnage au profit d’une puissance étrangère (identifiée depuis comme étant la France). La libération de l’unique Français (à notre connaissance) détenu et condamné à ce jour en Corée du Nord depuis la fin de la guerre de Corée, finalement intervenue fin 1975, est une préoccupation constante de la diplomatie française en général, et d’Etienne Manac’h en particulier. En mars 1971, il a notamment porté personnellement une lettre de Jacques Sédillot à sa mère lors d’un de ses séjours en France… avant d’apprendre le 5 avril, amer, que suite aux délais mis par un fonctionnaire tatillon du Quai la lettre était parvenue à sa destinataire… quelques jours après son décès. [11] Lors de l’entretien entre Maurice Schuman et S.E. Hyun Jun-keuk, ambassadeur de la RPD de Corée en Chine, le 9 juillet 1972, la partie française, par la voix de S.E. Etienne Manac’h qui a soulevé ce point en conclusion de l’entretien, a exprimé le souhait que « l’amélioration des rapports franco-coréens coïncide avec (la) libération » de Jacques Sédillot. [12]

 

Signe de la considération qu’a Pyongyang pour le poids diplomatique de la France, Etienne Manac’h rend compte d’un entretien avec l’ambassadeur Hyun Jun-keuk, le 3 septembre 1973, sur une éventuelle admission des deux Corée aux Nations Unies – ce que refuse Pyongyang qui considère que ce serait entériner la division de la péninsule. Etienne Manac’h indique que son homologue coréen souhaite non seulement que la France comprenne la position de la RPDC, mais qu’il est également attendu de la France qu’elle « explique le comportement des Coréens aux pays qui sont nos amis et particulièrement dans le milieu des Nations Unies ». [13]

 
Au final, les Mémoires d’Etienne Manac’h nous apprennent que les contacts avec les Nord-Coréens ont été réguliers au début des années 1970, mais qu’ils ont abouti à très peu d’actions concrètes pour donner un contenu aux relations bilatérales – et ce, malgré les propositions de l’ambassadeur de France en Chine, sur ce point guère suivi par son administration centrale. Quarante ans plus tard, ce que nous savons des relations franco – nord-coréennes montre que les réticences du Quai d’Orsay à nouer des échanges, alors que les Nord-Coréens sont désireux d’engager des coopérations, sont largement identiques à celles des années 1970, même si les raisons en sont aujourd’hui différentes. Mais alors que la France avait eu sur cette question, à l’initiative du général de Gaulle, une position plus audacieuse que celle de ses partenaires occidentaux, c’est aujourd’hui un constat inverse qui doit être formulé, la France étant l’un des deux derniers pays de l’Union européenne, avec l'Estonie, à ne pas avoir établi de relations diplomatiques complètes avec la République populaire démocratique de Corée.

Référence et notes

 
[1] Tome III, dimanche 9 juillet 1972, p. 173.

[2] Tome II, dimanche 18 juillet 1971, p. 437-438.

[3] Tome III, jeudi 16 novembre 1972, p. 261.

[4] Tome III, lundi 25 décembre 1972, p. 286.

[5] Ibid. Le mot « occasionnellement » est souligné par Etienne Manac’h (en italiques dans le texte d’origine).

[6] Dans le tome III, à la date du 14 mars 1972 (p. 36), Etienne Manac’h indique ainsi que « Paris n’a pas (…) répondu, jusqu’ici, aux questions que je pose, dans ma lettre du 22 février sur le problème des rapports entre notre pays et la République démocratique de Corée. Je suppose que mes suggestions embarrassent mon ministère, et c’est ce que me laisse entendre une lettre officieuse d’un ami du Quai ». Conscient que la situation d’entre-deux diplomatique (ouverture de relations diplomatiques, mais pas complètes) entre la France et la RPDC nécessite des clarifications, Etienne Manac’h fait des propositions – dont il ne divulgue pas la teneur – pour donner du contenu aux relations France – RPDC, mais un silence embarrassé est la seule réponse qu’il obtient…

[7] Tome III, dimanche 9 juillet 1972, p. 173-174.

[8] Tome III, samedi 24 mars 1973, p. 359-360. Etienne Manac’h précise que son collaborateur est revenu l’avant-veille de Pyongyang. Notre dernière citation se termine sur des points de suspension de l’auteur… signe, une nouvelle fois, que ses propositions pour développer les relations franco – nord-coréennes n’ont pas été retenues par le ministère des Affaires étrangères.

[9] Tome III, mardi 14 novembre 1972, p. 258.

[10] Tome III, lundi 3 septembre 1973, p. 486. La demande a été formulée le matin du 3 septembre.

[11] La lettre avait été obtenue à Pyongyang par « Serge » qu’Etienne Manac’h avait croisé lors d’une escale à Omsk (tome II, mercredi 17 mars 1971, p. 358). Dès le 20 mars, Etienne Manac’h est à Paris, muni de la précieuse missive, mais il a oublié son carnet d’adresses à Pékin et n’a pas la possibilité d’envoyer lui-même le courrier, qu’il remet à l’administration centrale (tome II, p. 359).  Sur les délais d’acheminement au regard de l’état de santé de Mme Sédillot, Etienne Manac’h observe, dans son journal à la date du 5 avril : « J’ai eu avec René, à qui je regrette d’avoir fait confiance, une pénible conversation. Il avait jugé bon, je me demande pourquoi, d’acheminer ma correspondance personnelle sous le couvert de son directeur. Le temps d’obtenir la signature du patron et d’archiver le document, la mort est venue. Comportement de fonctionnaire vétilleux : on écrase l’initiative sous l’ordre paperassier. Cette femme a fermé les yeux, sans une dernière lumière, dans une désolante solitude » (tome II, p. 360).

[12] Tome III, dimanche 9 juillet 1972, p. 174.

[13] Tome III, lundi 3 septembre 1973, p. 486.

Source : Etienne Manac'h, Mémoires d'extrême Asie, Fayard. Tome II, La Chine, 1980, et Tome III, Une terre traversée de puissance invisibles : Chine-Indochine, 1972-1973, 1983.

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6 août 2014 3 06 /08 /août /2014 20:51

Du 6 au 9 août 2014, la chorégraphe coréenne Eun-me Ahn présente chaque soir son spectacle Dancing Grandmothers au théâtre de la Colline, à l'invitation de Paris Quartier d'Eté. Le concept est original : faire danser douze grands-mères âgées de 60 à 90 ans (dont la propre mère d'Eun-me Ahn !), toutes danseuses amateurs, qui font preuve d'une énergie à la hauteur de la volonté dont ont su faire preuve ces femmes dont l'histoire personnelle se confond avec celle de la Corée moderne - des épreuves de la colonisation japonaise, de la division et de la guerre au défi de construire une nouvelle puissance économique.

Pendant un an, au gré des pérégrinations cyclistes de sa compagnie dans les campagnes les moins accessibles du pays, à la manière quelque part d'une sociologue spécialisée dans les arts et traditions populaires, Eun-me Ahn est partie à la rencontre de dizaines de grands-mères coréennes, pour les faire danser sur des chansons de leur jeunesse - un film étant joint au spectacle de chorégraphie pour retracer ces échanges. Ainsi s'est constitué un répertoire de mouvements, qui a servi de trame au spectacle Dancing Grandmothers, actuellement donné dans le cadre du festival Paris Quartier d'été 2014. Débordantes d'énergie et de vitalité, jouant de leur pouvoir de séduction régénéré, quelque quinze grands-mères dansent sur des chansons populaires des années 1930 à 1970 riches en évocation pour tous les Coréens, dans un dialogue étonnant avec neuf jeunes danseurs.

La "danseuse au crâne chauve", ainsi qu'est surnommée Eun-me Ahn depuis qu'elle s'est rasé la tête en 1992, est une figure majeure de l'avant-garde artistique sur la scène de la danse contemporaine en République de Corée (Corée du Sud). En Europe, elle a beaucoup travaillé avec Pina Bausch. Ses créations allient une novation dans les thèmes et les formes et une valorisation du patrimoine coréen, Eun-me Ahn ayant notamment mis en exergue les cultures chamaniques coréennes (dans Symphoca Princess Bari), l'inépuisable légende de Chunhyang (dans ShinChunhyang) et les instruments traditionnels, tout en développant les thèmes de la sexualité et en montrant la nudité des corps - au prix de choquer la bienséance confucéenne.

Dancing Grandmothers est à découvrir à Paris du 6 au 9 août 2014, à partir de 20h30, au théâtre national de la Colline (15 rue Malte Brun, Paris 20e - réservations 01.44.62.52.52. De 8 à 20 euros).

Sources :

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31 juillet 2014 4 31 /07 /juillet /2014 22:52

Paul Jean-Ortiz, conseiller diplomatique du Président François Hollande, est mort dans la nuit du 30 juillet au 31 juillet 2014, des suites d'un double cancer, à l'âge de 57 ans. L'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) a souhaité rappeler son rôle dans l'évolution récente des relations franco-coréennes, sans revenir sur les autres aspects de sa carrière - qui n'entrent pas dans notre domaine de compétences. Nous saluons un grand serviteur de la République et présentons nos condoléances à sa famille et à ses proches.

Disparition de Paul Jean-Ortiz

Paul Jean-Ortiz était né le 19 mars 1957 au Maroc. Son père, républicain espagnol ayant rejoint la France en 1939, avait créé une entreprise de cirage et d'eau de Cologne, avant d'épouser une jeune catholique bretonne au printemps 1957.

Trotskyste dans sa jeunesse, Paul Jean-Ortiz était ensuite devenu socialiste, rejoignant les cabinets ministériels socialistes. Spécialiste de la Chine, parlant parfaitement mandarin et l'un des meilleurs connaisseurs du monde chinois au Quai d'Orsay, il avait notamment été troisième secrétaire à Pékin (1987-1988), consul général à Canton (1992-1993), ministre conseiller à Pékin (2000-2005), directeur d'Asie et d'Océanie au ministère des Affaires étrangères et européennes à partir de septembre 2009, avant de devenir le conseiller diplomatique du Président de la République François Hollande depuis mai 2012. Déçu de ne pas avoir été nommé ambassadeur en Chine, il s'était investi dans l'équipe de campagne du candidat socialiste.

Déjà sensibilisé aux questions coréennes dans ses précédentes fonctions en Chine, Paul Jean-Ortiz avait été au coeur du processus d'ouverture du bureau français de coopération à Pyongyang, en octobre 2011, en tant que directeur d'Asie et d'Océanie. Cette élévation du niveau des relations diplomatiques entre la France et la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) - alors que la France reste, avec l'Estonie, l'un des deux derniers pays de l'Union européenne à ne pas avoir établi de relations diplomatiques complètes avec la RPD de Corée - avait fait suite à la mission confiée par le Président de la République Nicolas Sarkozy à Jack Lang. En juillet 2011, Paul Jean-Ortiz avait visité Pyongyang pour finaliser les conditions d'installation du premier directeur du bureau français de coopération en Corée du Nord.

Comme conseiller diplomatique du Président de la République François Hollande, Paul Jean-Ortiz avait ensuite contribué à développer les relations avec la République de Corée (du Sud), au nom de l'impératif économique, suivant une ligne diplomatique fermant les yeux sur les atteintes aux droits de l'homme dans le Sud de la péninsule - alors que d'autres pays occidentaux, au premier rang desquels les Etats-Unis, s'inquiètent ouvertement de la dérive autoritaire à l'oeuvre à Séoul et tentent de faire pression sur les autorités sud-coréennes.

Certains responsables de l'AAFC avaient eu l'occasion de rencontrer Paul Jean-Ortiz, conseiller de l'ombre efficace, aux réponses parfois cinglantes à ses interlocuteurs, toujours fidèle serviteur de l'Etat. Dans une administration du Quai d'Orsay où la ligne traditionnelle d'indépendance de la France, conforme aux visées du général de Gaulle et du Président François Mitterrand, tend à être battue en brèche par une sensibilité qui, sous couvert de défense des droits de l'homme, s'inscrit dans des perspectives plus interventionnistes et atlantistes, Paul Jean-Ortiz avait souvent favorisé les seconds, tout en faisant preuve d'un pragmatisme qui l'avait conduit à faire évoluer sensiblement la diplomatie française sur la question coréenne.

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9 juillet 2014 3 09 /07 /juillet /2014 07:03

La cantatrice sud-coréenne Kim Je-ni, dans le rôle de l’esclave birmane Tuptim, a conquis le public parisien venu assister au Théâtre du Châtelet à la représentation de la comédie musicale The King and I (Le Roi et Moi) mise en scène par Lee Blakeley. L'AAFC revient sur la prestation sublime d'une artiste prodige.

Kim Je-ni, étoile montante du chant, brûle les planches au Châtelet

The King and I (Le Roi et Moi) est l’une des comédies musicales les plus emblématiques de Broadway. Née en 1951 de la synergie des partitions de Richard Rodgers et du livret d’Oscar Hammerstein II, elle retrace l’histoire d’amour contrariée entre le roi de Siam – l’actuelle Thaïlande - Mongkut (Rama IV 1862-1876) et la préceptrice anglaise de ses enfants Anna Leonowens. Elle a suivi un film de 1946 qui a largement inspiré le livret de celle-ci et a donné suite à un certain nombre d’autres adaptations au cinéma comme le film éponyme de 1956 de Walter Lang ou encore un long-métrage animé de Walt Disney lui aussi porteur du même titre sorti en 1999.

Lee Blakeley s’est emparé de ce standard de Broadway et l’a transposé sur la scène du Théâtre de Châtelet dans l’esprit de l’âge d’or des comédies musicales. Décors riches en dorures, costumes magnifiques, jeux de lumière travaillés, chorégraphies imaginatives, chants ne figurant pas sur les enregistrements habituels, acteurs investis dans leurs rôles, tous les ingrédients ont été réunis pour émerveiller le public pendant 3h10 et le transporter vers une Asie mythifiée un peu kitsch mais dans l’âme des comédies musicales (en anglais surtitré).

Si le haut de l’affiche était tenu par des grands noms avec Lambert Wilson dans le rôle du roi et Susan Graham, mezzo-soprano américaine renommée, dans le rôle d’Anna, c’est bel et bien la jeune Sud-Coréenne Kim Je-ni qui s’est imposée par son talent et sa voix comme la révélation du Roi et Moi. Elle y interprète Tuptim, une jeune esclave birmane donnée au roi comme épouse mais secrètement amoureuse d’un autre : l’artiste confie avoir envisagé ce rôle difficile comme la rencontre d’une fragilité apparente et d’une grande force intérieure issue de la passion. Le personnage apporte une autre dimension au Roi et Moi, empreinte de gravité en raison de son amour impossible mais aussi de son destin tragique. Kim Je-ni a réussi à sublimer le rôle en transmettant une vraie émotion avec sa voix cristalline à chacun de ses passages.

Néanmoins, la comédie musicale est une première dans le parcours de Kim Je-ni. En effet, l’artiste est issue du monde de l’opéra. Née en 1984 en Corée du Sud, elle s’intéresse très tôt au chant et sa passion est rapidement couronnée de succès avec l’obtention en 2007 du diplôme de l’Université de Séoul. Elle y effectue ses débuts avec le rôle de Zerlina dans le Don Giovanni de Mozart. Son talent lui permet de poursuivre ses études de chant en Europe en intégrant en 2009 le Conservatoire Giuseppe Verdi de Milan et d’y réussir brillamment tout en remportant de nombreux concours internationaux de chant. En 2011, Kim Je-ni entre à l’Ecole Normale de Musique de Paris où le diplôme de sixième exécution lui est attribué à l’unanimité des membres du jury. La jeune Sud-Coréenne fait son entrée au Centre National d’Artistes Lyriques (CNIPAL) en juin 2012 où elle est pensionnée pour la saison 2012-2013 et interprète de grands airs classiques tirés des répertoires de Mozart, Chambrier, Messager et Hahn. Un parcours sans faute pour la jeune Coréenne qui excelle à chaque représentation d’opéra.

Sa participation à une comédie musicale a donc constitué une véritable première pour l’artiste qui a ainsi eu l’opportunité de travailler avec un regard nouveau sur un genre qu’elle n’avait jusque là jamais exploré, en dépit de l’attrait prononcé des Coréens pour les comédies musicales plutôt que pour l’opéra du propre aveu de la jeune femme. Pari payant pour Kim Je-ni qui s’est lancée avec passion dans ce premier essai alors que ses professeurs déclaraient le rôle de Tuptim dans le Roi et Moi musicalement trop bas par rapport aux capacités de l’artiste : les critiques saluent unanimement la prestation de la jeune cantatrice sud-coréenne et lui prédisent déjà le brillant avenir d’une étoile montante du chant à l’aise aussi bien dans son domaine d’excellence, l’opéra, que dans des expériences nouvelles comme la comédie musicale.

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29 juin 2014 7 29 /06 /juin /2014 00:18

Il y a soixante-dix ans, des centaines de milliers de femmes asiatiques, coréennes, chinoises ou originaires d'autres pays d'Asie envahis par le Japon, ont été réduites en esclavage sexuel par le gouvernement japonais dans les bordels militaires de l'armée nippone. La venue en France et en Europe de l'une des anciennes "femmes de réconfort", Mme Kil Won-ok, avec la présidente du Conseil coréen pour les "femmes de réconfort", Mme Yun Mi-hyang, a donné lieu à un ensemble de manifestations à Paris pour exiger que le Japon reconnaisse les crimes de guerre qu'il a commis et apporte une juste indemnisation aux victimes de l'esclavage sexuel - car le combat en faveur des "femmes de réconfort" a une portée universelle, afin que plus jamais les femmes ne soient des armes de guerre. Comme en septembre 2013 à l'occasion de la visite en France de Mme Kim Bok-dong, puis lors des actions conduites en janvier et en avril 2014 à Paris dans le cadre de la campagne de pétition internationale, l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) a pleinement soutenu les initiatives menées par le Conseil coréen des femmes de réconfort, en relayant l'information auprès de ses contacts, en aidant matériellement à l'organisation de manifestations - c'est sous l'égide de l'AAFC qu'une salle a été mise à disposition à Paris le 24 juin 2014 - et en continuant à sensibiliser l'opinion publique. Pour les droits des femmes et pour que justice soit enfin rendue aux anciennes victimes de l'esclavage sexuel japonais, poursuivons le combat jusqu'à la victoire !

Mme Kil Won-ok, ancienne "femme de réconfort" victime de l'esclavage sexuel par l'armée japonaise, le 25 juin 2014 place du Trocadéro à Paris

Mme Kil Won-ok, ancienne "femme de réconfort" victime de l'esclavage sexuel par l'armée japonaise, le 25 juin 2014 place du Trocadéro à Paris

Kil Won-ok n'avait que 12 ans quand elle est devenue, en 1940, une esclave sexuelle de l'armée japonaise. Soixante-dix ans plus tard, la blessure est toujours vive, à l'instar de ces centaines de milliers de femmes dont la vie a été défintivement brisée. Mais dans les témoignages qu'elle donne, la gravité le dispute aussi à une capacité à prendre de la distance : sans doute est-ce aussi cette forme d'optimisme indéfectible qui lui a permis de tenir bon, pendant toutes ces années, puis de surmonter l'opprobre pendant les décennies au cours desquelles on préférait, en Corée, taire le crime qui avait été commis à l'encontre des "femmes de réconfort" - avant que le Conseil coréen pour les "femmes de réconfort" ne rende pleinement compte, depuis 1992, de cette violation inacceptable des droits humains fondamentaux.

La visite en Europe de Mme Kil Won-ok, accompagnée de Mme Yun Mi-hyang, président du Conseil coréen pour les "femmes de réconfort" a donné lieu à un ensemble de manifestations à Paris qu'a soutenues l'AAFC et auxquelles nous avons participé.


Un premier témoignage a eu lieu le lundi 23 juin à la Sorbonne, à l'invitation du professeur Jean Salem, en présence de quelque 70 invités, coréens, français mais aussi japonais, chinois, originaires d'autres pays asiatiques, arabes ou africains, tant la question de l'esclavage sexuel des femmes reste d'une brûlante actualité, trop souvent liée aux crimes de guerre commis dans les zones en conflit.

Campagne à Paris et en Europe pour refuser les crimes sexuels commis contre les "femmes de réconfort"
Campagne à Paris et en Europe pour refuser les crimes sexuels commis contre les "femmes de réconfort"
Campagne à Paris et en Europe pour refuser les crimes sexuels commis contre les "femmes de réconfort"
Campagne à Paris et en Europe pour refuser les crimes sexuels commis contre les "femmes de réconfort"

Le mardi 24 juin, une rencontre très émouvante a eu lieu avec, notamment, des jeunes Sud-Coréens en visite en France et en Europe dans le cadre de la campagne pour la paix "Papillons de l'espoir" - coïncidant avec le centième anniversaire du début de la Première guerre mondiale.

Le mercredi 25 juin, Mme Kil Won-ok a livré son témoignage à la Maison du barreau, en présence de et grâce à Roland Weyl, de l'Association internationale des juristes démocrates. En effet, refuser la guerre et les crimes commis sous le prétexte des conflits exige de porter un regard lucide sur l'histoire : telle est l'une des missions qui incombent aux juristes, et qui justifient que les militants coréens ont porté la question des "femmes de réconfort" aux Nations Unies, pour obtenir une reconnaissance par le Japon.

A cette fin, la visite de Mme Kil Won-ok a aussi été l'occasion de rencontres avec des personnalités françaises, notamment la sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, et la sénatrice Mme Michèle André, ancienne ministre des droits des femmes. Le dépôt, la discussion et l'adoption en France d'une résolution parlementaire relative aux "femmes de réconfort", à l'instar des démarches accomplies par les Parlements d'autres pays, permettraient de faire reculer les violences ainsi faites aux femmes, par la reconnaissance officielle du préjudice subi par les anciennes esclaves sexuelles de l'armée japonaise. Une des questions abordées a aussi été la création d'un monument commémoratif, en France, pour ne pas oublier ce qui s'est passé.

Enfin, l'un des points d'orgue des manifestations a été le rassemblement place du Trocadéro, sur le parvis des droits de l'homme, le 25 juin 2014. Il coïncidait avec les manifestations du mercredi, organisées chaque semaine par les anciennes victimes de l'esclavage sexuel. Mme Kil Won-ok et Mme Yun Mi-hyang y ont pris la parole, de même que, parmi d'autres orateurs, Benoît Quennedey et Patrick Kuentzmann, respectivement vice-président chargé des actions de coopération et secrétaire général de l'AAFC. 

 L'AAFC a souligné que le rassemblement coïncidait avec le 64ème anniversaire du début de la guerre de Corée, et montrait la nécessité de la signature d'un traité de paix dans la péninsule coréenne, le conflit s'étant terminé par un simple accord d'armistice. Enfin, la question de l'esclavage sexuel et le combat pour la paix sont liés, les guerres coïncidant avec les pires violences perpétrées contre les femmes. Cette situation de "ni guerre ni paix" conduit à une militarisation de la société coréenne tout entière ; la reconnaissance, qu'exigent les militants pacifistes sud-coréens, de l'objection de conscience et de formes civiles de service national s'inscrivent dans le combat pour les droits de l'homme que mène l'AAFC avec les militants sud-coréens.

Les jeunes Coréens en visite en Europe dans le cadre de la campagne 2014 pour la paix ont pris une place très active dans le rassemblement au Trocadéro ce 25 juin 2014. Le spectacle dansé qu'ils ont donné, révélant une synchronisation parfaite, a retenu l'attention de la foule. Des chants et les banderoles déployées ont donné une ambiance festive à cette "manifestation du mercredi" d'un genre inédit, tandis que les papillons dessinés sur une toile posée à même le sol ont symbolisé l'espoir d'une envolée vers la paix : les jeunes militants pacifistes poursuivent à présent  vers d'autres contrées européennes leur rêve des papillons pour un monde sans guerre.

Campagne à Paris et en Europe pour refuser les crimes sexuels commis contre les "femmes de réconfort"
Campagne à Paris et en Europe pour refuser les crimes sexuels commis contre les "femmes de réconfort"
Campagne à Paris et en Europe pour refuser les crimes sexuels commis contre les "femmes de réconfort"
Campagne à Paris et en Europe pour refuser les crimes sexuels commis contre les "femmes de réconfort"

Photos Alain Noguès

 

Site du Conseil coréen pour les "femmes de réconfort" : www.womenandwar.net

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16 juin 2014 1 16 /06 /juin /2014 10:39

Alors que les révélations suite au dramatique naufrage du ferry Sewol ont mis en évidence les liens entre certains milieux culturels français et l'évangéliste Yoo Byeong-eon, connu sous son nom de photographe Ahae, il existe d'authentiques artistes coréens contemporains, qui auraient mérité mille fois davantage d'être mis en lumière par les institutions publiques françaises. Portraits croisés d'un artiste reconnu, Lee Ufan, actuellement à l'honneur au château de Versailles, et d'un affairiste habile, Ahae, tombé en disgrâce, mais dont les soutiens intéressés n'ont pas quitté le devant le scène artistique parisienne.

Né en République de Corée (du Sud) en 1936, Lee Ufan a été en 1969 l'un des fondateurs, avec Nobuo Sekine, du mouvement artistique Mono-Ha - souvent traduit par "école des choses". L'accent porté sur la pureté des choses existantes à partir du matériau brut, dans une présence physique et sensible, n'est pas sans évoquer le minimalisme - contemporain de Mono-Ha. Mono-Ha a été représenté à la Biennale de Paris en 1971, et a été actif jusqu'au milieu des années 1970.

Peintre, Lee Ufan a ensuite mis en lumière la puissance évocatrice des monochromes. En tant que créateur d'installations, il choisit d'abord de s'imprégner du lieu pour - à la manière des architectes - créer un champ de perceptions nouvelles, par un travail approfondi sur le point et la ligne. Comme il l'a déclaré dans un entretien au quotidien Le Monde, "mon propos n'est pas d'installer des objets fabriqués par moi, mais d'inviter à regarder le lieu, le ciel, la nature". Dans les installations de Lee Ufan qui sont aujourd'hui à voir à Versailles (neuf dans le parc, une dans le château), du 17 juin au 2 novembre 2014, la tombe de Le Nôtre, à l'origine de l'aménagement du lieu et de la création du jardin à partir de 1662, ne se découvre qu'à proximité immédiate - en une grosse pierre noire, symbolisant et concentrant le temps. Mais l'oeuvre la plus spectaculaire et la plus emblématique est l'Arche qui, selon l'angle où se situe le spectateur, se fond ou non dans le ciel et absorbe la lumière. Car Lee Ufan n'est pas seulement artiste ou écrivain, comme philosophe, il donne à voir et à comprendre le monde.

Lee Ufan et l'arche installée dans le château de Versailles

Lee Ufan et l'arche installée dans le château de Versailles

Travailler sur la sensation et la perception, c'est aussi ce qu'a voulu faire Yoo Byeong-eon, dans une approche subliminale de Dieu (le pasteur Yoo vend beaucoup de livres) qui n'avait rien de très original, tant sur la forme que sur le principe. Au demeurant, les photos de Ahae ne sont pas le résultat d'une réflexion artistique : il s'agit plutôt des aimables clichés léchés d'un amateur, qui en a profité pour les vendre fort chers et développer des produits dérivés, à sa gloire et à celui de sa petite entreprise. Contre toutes les pratiques établies, Yoo Byeong-eon, malgré son absence de passé artistique, s'était vu catapulter dans des expositions au château de Versailles et au jardin des Tuileries (qui dépend du Louvre), entre autres expositions à New York et à Prague. Lors de la clôture de son exposition le 8 septembre 2013 à l'Orangerie, une fête somptueuse n'a-t-elle pas été l'occasion pour le compositeur Michael Nyman d'interpréter la Symphonie n° 6 "Ahae" ? Car l'homme a un épais carnet de chèques : n'a-t-il pas versé 1,1 million d'euros au Louvre ? Et n'est-il pas un des mécènes de Versailles ?

Après une demande d'asile politique en France, rejetée, Yoo Byeong-eon est traqué par la police sud-coréenne pour son implication dans le naufrage du ferry Sewol et des accusations de détournements de fonds : 50.000 policiers sont aux trousses de l'homme, introuvable, que l'on dit protégé par les membres de l'église qu'il dirige et qui compterait 20.000 adeptes. Sa fille, Yoo Somena, a été interpelée le 27 mai 2014 à Paris.

Au-delà de l'affaire Yoo Byeong-eon, des questions se posent sur le choix des artistes, d'une part, et le financement de la culture en France d'autre part : ne relève-t-il pas de la charte éthique du musée du Louvre de refuser les dons d'origine douteuse ? Si la Philharmonie de Paris a annulé les événements organisés autour de Ahae à l'occasion des années croisées France-Corée (2015-2016), le commissaire de l'année culturelle France-Corée est Henri Loyrette, ancien président du Louvre, qui a couvert de louanges Ahae, rejoint par Catherine Pégard, présidente de l'établissement public du château de Versailles. 

Il est temps de tirer toutes les conséquences de ce naufrage culturel et que les responsables impliqués rendent compte. C'est le sens de l'appel lancé par des Coréens en France dans une lettre ouverte à Mme Aurélie Filipetti, ministre de la culture, reproduite sur le site Louvre pour Tous - qui a été le premier à dénoncer, dans notre pays, l'imposture artistique qu'est Ahae.

Sources :

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8 mai 2014 4 08 /05 /mai /2014 11:04

Du 3 mai au 31 août 2014, le Musée national de Corée, à Séoul, donne à découvrir plus de soixante-dix tableaux, dessins, sculptures et photographies provenant du Musée d'Orsay dans l'exposition « Au-delà de l’impressionnisme : naissance de l’art moderne » - dans un parcours illustrant des expériences artistiques communément réunies sous l'expression de post-impressionnisme, au tournant des XIXème et XXème siècles.

"Femme à l'ombrelle tournée vers la droite" (Claude Monet, 1886, huile sur toile, 131 x 88 cm ). La peinture du Musée d'Orsay représentant Suzanne Hoschedé (dont il existe aussi une version tournée vers la gauche) s'inscrit dans un ensemble de toiles du maître impressionniste sur le thème de la femme à l'ombrelle.

"Femme à l'ombrelle tournée vers la droite" (Claude Monet, 1886, huile sur toile, 131 x 88 cm ). La peinture du Musée d'Orsay représentant Suzanne Hoschedé (dont il existe aussi une version tournée vers la gauche) s'inscrit dans un ensemble de toiles du maître impressionniste sur le thème de la femme à l'ombrelle.

Les correspondances sont anciennes entre l'art coréen moderne et les courants artistiques occidentaux de la même époque. Ainsi, « Crépuscule », peint en 1916 par Kim Kwan-ho, s'inspire de l'oeuvre du symboliste Pierre Puvis de Chavannes - et aujourd'hui encore les étudiants coréens en beaux-arts choisissent souvent la France pour compléter leur formation artistique. C'est donc en quelque sorte un retour aux sources qu'opère le Musée national de Corée en réunissant plus de 70 oeuvres du Musée d'Orsay, dans le cadre de l'exposition temporaire « Au-delà de l’impressionnisme : naissance de l’art moderne », du 3 mai au 31 août 2014.

Caroline Mathieu, conservateur en chef au Musée d'Orsay et commissaire de l'exposition, observe que "la dernière exposition du groupe impressionniste, en 1886, est le symbole même des dissensions qui agitent ses membres, aboutissement d'une lente désagrégation de l'idéal commun qui les avait réunis dans les années 1870 : peindre en plein air, sur le motif, en couleurs claires, des sujets de la vie moderne". Ce rejet d'un naturalisme - jugé fondé sur l'imitation - conduit à de nouvelles expressions artistiques, aujourd'hui qualifiées de "post-impressionnistes" - le symbolisme, les Nabis, l'art naïf (mais aussi sublimement onirique) du douanier Rousseau, ou encore les peintures à Pont-Aven de Van Gogh...

Parmi les oeuvres exposées au Musée national de Corée figurent la « Femme à l’ombrelle tournée vers la droite » de Claude Monet, le « Portrait d'Eugène Boch » de Vincent Van Gogh, « La Montagne Sainte-Victoire » de Paul Cézanne, « La Charmeuse de serpents » d’Henri Rousseau.

Informations pratiques :

« Au-delà de l’impressionnisme : naissance de l’art moderne », du 3 mai au 31 août 2014.
 Musée national de Corée
137, Seobinggo-ro, Yongsan-gu, Séoul.
Tél : +82 2-2077-9000.

Horaires d'ouverture : les mardi, jeudi et vendredi 9h - 18h ; mercredi et samedi 9h - 21h ; dimanche 9h-19h. Fermé le lundi.

"La charmeuse de serpents" (Henri Rousseau, 1907, huile sur toile, 169 x 189,5 cm)

"La charmeuse de serpents" (Henri Rousseau, 1907, huile sur toile, 169 x 189,5 cm)

Sources :

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