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26 février 2017 7 26 /02 /février /2017 11:03

Depuis le 14 février 2017, la mort, la veille, de celui qui est présenté comme étant Kim Jong-nam retient toute l’attention des médias internationaux pour ce qui concerne l’actualité coréenne. De fait, tous les ingrédients d’un roman d’espionnage sont réunis - y compris la fascination de l’assassinat par empoisonnement. Toutefois, un certain nombre de zones d’ombre demeurent et justifient, compte tenu des conséquences géopolitiques de cette affaire et de la manière avec laquelle elle est généralement présentée par les grands médias, que la rédaction de l’Association d’amitié franco-coréenne juge utile de lister ces interrogations, en laissant au lecteur le soin de se faire sa propre opinion.

Les mystères de Kuala Lumpur

Qui est mort ?

Un citoyen nord-coréen, mort le 13 février au cours de son transport de l’aéroport vers l’hôpital de Kuala Lumpur en Malaisie, détenteur d'un passeport diplomatique au nom de Kim Chol, né en 1970, a été présenté, dès le lendemain par la presse sud-coréenne comme étant Kim Jong-nam, demi-frère du dirigeant de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) Kim Jong-un. Seul un test ADN pourrait avec certitude déterminer l’identité du défunt. Cependant, l’article 40 (alinéas 3 et 4) de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques stipule que les personnes munies d’un passeport diplomatique bénéficient d’un principe d’inviolabilité personnelle. A ce titre, la réalisation d’un test ADN et d’une autopsie suppose l’accord préalable de la République populaire démocratique de Corée. La RPDC - comme le droit international l'autorise - a refusé la réalisation de ce test ADN et de cette autopsie et a demandé à ce que le corps du défunt lui soit remis. Par son refus, l’attitude de la Malaisie est doublement critiquable.

Premier point critiquable, la réalisation d’une autopsie et d’un test ADN sans l’accord de la RPDC est constitutive d’une violation des conventions internationales ainsi que l’a rappelé le Comité des juristes coréens (de la RPD de Corée) le 22 février.

Par ailleurs, la réalisation d’un test ADN suppose un prélèvement, en Malaisie ou ailleurs, sur un membre de la famille du défunt. Or, à ce jour, aucune information quant à l’arrivée prochaine en Malaisie d'un membre de la famille de Kim Jong-nam n'a été vérifiée de manière certaine. Le corps n'a pas non plus été réclamé par la famille et, conformément aux conventions internationales, aurait dû être immédiatement remis aux représentants de la RPDC à Kuala Lumpur.

Le test ADN réalisé par la Corée du Sud sur la base d’empreintes digitales laissées dans un restaurant manque quant à lui de crédibilité et d’impartialité et doit donc être écarté.

Second point critiquable, le gouvernement de la RPD de Corée a demandé à être associé à l’enquête. Cette requête a été refusée par la Malaisie. Le rejet de cette proposition d’enquête conjointe formulée par la RPDC traduit un refus manifeste de coopération mais pourrait aussi témoigner de la peur de la part de la police malaisienne que des lacunes de l’enquête puissent être révélées au grand jour - après la tragique disparition du vol MH370 en mars 2014, où les autorités malaisiennes ont été très critiquées pour leur gestion calamiteuse de la catastrophe et de ses suites.

Quelle est la cause de la mort ?

Des zones d’ombre entourent les circonstances et la cause de la mort du citoyen nord-coréen, la presse internationale s’étant contentée de relayer la thèse diffusée - très rapidement - par les médias sud-coréens (cf. ci-dessous la réponse à la question « D'où vient l'information relayée par les médias occidentaux ? ») selon laquelle il s’agirait d’un assassinat par empoisonnement. L’autopsie, réalisée sans autorisation de la République populaire démocratique de Corée (cf. question « Qui est mort ? »), ne lève pas toutes les questions, en l’absence, visiblement à ce jour, de test ADN. En attendant, deux thèses s’opposent.

La mort du citoyen nord-coréen a tout d’abord été présentée par la police malaisienne comme étant la conséquence d’un accident cardiaque. Certains médias sud-coréens ont cependant affirmé qu’il s’agissait d’un « assassinat par empoisonnement » et cette thèse a immédiatement été reprise par la police malaisienne puis par les médias internationaux. Cette affirmation, par son caractère précipité, pour le moins, devrait pourtant susciter un certain nombre d’interrogations.

Une vidéo récupérée de manière incertaine avant d'être diffusée par la télévision japonaise FujiTV a depuis été largement relayée et sert de pierre angulaire à la thèse selon laquelle le citoyen nord-coréen aurait été assassiné. Or, sur cette vidéo, ni l’angle de la prise de vue ni la mauvaise qualité des images ne permettent d’établir avec certitude l’existence d’un assassinat par empoisonnement, tandis que le visage de la personne est difficile à discerner. Une photo a circulé, publiée notamment en France par l'hebdomadaire Paris Match, d'un homme présenté comme Kim Jong-nam, évanoui après l' « attentat ». Mais c’est manifestement un faux, les vêtements n’étant pas les mêmes que sur la vidéo diffusée par la télévision japonaise.

D’après les tenants de la thèse de l’assassinat par empoisonnement, le citoyen nord-coréen aurait été empoisonné à l’aide du poison VX, « plus mortel que le gaz sarin » (c'est à dire plus mortel que mortel !) comme le souligne la dépêche AFP ayant alimenté une bonne partie de la presse française...  Inventé par les Britanniques et modifié par les Etats-Unis, assimilé à une arme de destruction massive, ce poison est extrêmement dangereux et doit être manipulé avec une extrême précaution. L’Institut coréen pour les analyses de défense (KIDA), relevant du ministère sud-coréen de la Défense, avait avancé en 2016 que la RPD de Corée disposerait de six types de gaz innervant dont le VX. La thèse selon laquelle une femme aurait pu, sans aucune protection, asperger le citoyen nord-coréen de ce poison est cependant sujette à caution, et ce point a été souligné par la partie nord-coréenne. Elle n'est cependant pas la seule à s’interroger. Dans un article du quotidien français Le Monde, l’idée que ce poison ait été utilisé est écartée par deux spécialistes :

Pour le médecin général Patrice Binder, spécialiste des armes biologiques, aujourd’hui à la retraite, il n’est cependant pas crédible que le VX ait pu être appliqué à mains nues sur le visage de la victime par les deux exécutantes présumées. 'Elles auraient été en état de choc, même sous atropine', principal antidote au VX. 'Même en se protégeant avec des gants, manipuler ce produit à la toxicité diabolique est extrêmement dangereux', ajoute Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, auteur d’une thèse sur l’utilisation des armes chimiques pendant la première guerre mondiale.

"Le Monde", 24 février 2017

L’identité et le parcours des deux femmes accusées d’avoir participé à l’empoisonnement posent de sérieux doutes (voir question « Que sait-on des deux femmes soupçonnées d'avoir assassiné la victime ? »).

Contre cette théorie, la République populaire démocratique de Corée a exprimé un certain nombre d’objections, récusant catégoriquement la thèse de l’empoisonnement faute de traces toxiques indubitables ou de lésions. Pour faire la lumière sur ce décès, la RPD de Corée a même proposé au gouvernement malaisien l’envoi d’une délégation pour permettre la réalisation une enquête conjointe et indépendante de toute pression, notamment de la part de la Corée du Sud dont elle dénonce l’ingérence dans cette affaire. Cette proposition n’a pour le moment pas été acceptée. Dans l’attente d’une éventuelle coopération, la RPDC s’en tient à ce qui avait été affirmé initialement par l’hôpital de Kuala Lumpur et le gouvernement malaisien, à savoir une attaque cardiaque.

D'où vient l'information relayée par les médias occidentaux ?

La chaîne sud-coréenne Chosun TV est la première à avoir annoncé, le 14 février 2017, l'assassinat de Kim Jong-nam, d'après d’une « source gouvernementale » non précisée. Chosun TV est la chaîne du quotidien ultra-conservateur Choson Ilbo, très proche des services de renseignement sud-coréens, à quelques mois (semaines ?) d'une élection présidentielle mal engagée pour les conservateurs au pouvoir à Séoul (voir question « En cas d'assassinat de Kim Jong-nam, quels seraient les commanditaires et leurs mobiles ? »).

Dans la première information diffusée par Chosun TV, la victime, immédiatement présentée comme étant Kim Jong-nam, aurait été tuée à l’aide d’aiguilles empoisonnées puis aspergée ; dans un second temps, un tissu lui aurait été mis de force sur le visage pendant quelque quinze secondes, cette durée variant ensuite à quelques secondes ; la nature du poison prétendument utilisé a ensuite été précisée. A ces quelques éléments près (mais qui ont leur importance), le scénario présenté par Chosun TV n’a guère évolué dans ses grandes lignes. Les services de renseignement sud-coréens n’ont pas souhaité, dans un premier temps, faire de commentaires à la presse, la désignation de la Corée du Nord étant alors du fait de la police malaisienne. Toujours selon les médias sud-coréens, ce serait la Malaisie qui aurait informé la Corée du Sud, alors que la victime est nord-coréenne et (s’il s’agissait bien de Kim Jong-nam) résidait en Chine. Ces éléments ont naturellement conduit la RPDC, par la voix de son Comité des juristes, à dénoncer une collusion entre la Malaisie et la Corée du Sud.

 

Que sait-on des deux femmes soupçonnées d'avoir assassiné la victime ?

Peu après le décès du citoyen nord-coréen, la police malaisienne a annoncé l’arrestation de deux femmes. Au cours des interrogatoires, elles ont affirmé qu’elles pensaient prendre part à un jeu télévisé de type « caméra cachée » et auraient reçu une somme d’argent assez dérisoire (90 dollars) pour asperger le visage de la victime d’un produit qu’elles pensaient être de l'« huile pour bébé ». Cependant, l’identité, l’activité et le parcours de ces deux femmes posent un certain nombre d’interrogations qui sont de nature à remettre en cause la thèse d'un assassinat par empoisonnement orchestré par la RPDC. En effet, au regard de leur vulnérabilité et des pressions dont elles peuvent faire l’objet, notamment au cours des interrogatoires par la police malaisienne, leurs témoignages doivent être considérées avec prudence. De nationalités indonésienne et vietnamienne, elles travaillent toutes les deux dans le milieu de la prostitution et ont l’habitude de se déplacer en Asie pour leurs activités. L’une d’elles, Doan Thi Huong, est de nationalité vietnamienne et l’étude de son compte Facebook est troublante car elle révèle des liens avec de nombreux citoyens sud-coréens (27 sur un total de 65 amis) ainsi qu’une connaissance de l’alphabet coréen. Une enquête indépendante serait donc la bienvenue pour déterminer la nature exacte de ses liens avec la Corée du Sud.

En cas d'assassinat de Kim Jong-nam, quels seraient les commanditaires et leurs mobiles ?

La RPDC a-t-elle assassiné Kim Jong-nam? On peut s’interroger sur l’intérêt pour les Nord-Coréens d’éliminer un homme volontairement à l'écart des jeux de pouvoir en RPDC, qui n’était pas un opposant ni un dissident, et de surcroît sous la protection des autorités chinoises, alors que Pékin est le principal partenaire de la Corée du Nord. Les critiques de Kim Jong-nam contre la RPD de Corée ne doivent pas être surinterprétées : elles sont anciennes et parcellaires, certaines déclarations de Kim Jong-nam allant même dans le sens d’un souhait que le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un réussisse dans sa direction du pays. A l’appui cependant d’une mise en cause de la Corée du Nord, les médias ont affirmé que le fils aîné de Kim Jong-nam, Kim Han-sol, aurait renoncé à commencer des études à Oxford - Kim Han-sol ne s’étant par ailleurs pas exprimé publiquement depuis le 13 février 2017. La victime était dans la partie de l’aéroport de Kuala Lumpur dévolue aux vols low cost, ce qui ne correspond pas au mode de vie prétendu de Kim Jong-nam. Le mode opératoire supposé, particulièrement peu discret, a entraîné une large publicité nuisant à l’image de la RPD de Corée. L’amateurisme extrême de ce qui est présenté comme un assassinat par empoisonnement, avec le recours à des civils de nationalité étrangère, peut être de nature à écarter l'idée une intervention du gouvernement nord-coréen (et, si c'est le cas, à quel niveau ?). Si la RPDC avait réellement eu l’intention d’éliminer Kim Jong-nam, on peut objecter qu’elle l’aurait fait avec d’autres moyens et dans un autre lieu qu’un hall d’aéroport bondé.

En outre, la République populaire démocratique de Corée et la Malaisie entretiennent de longue date d'excellentes relations allant jusqu'à l'absence de visas entre les deux pays. Quelques semaines avant l'incident du 13 février 2017, la RPD de Corée et la Malaisie avaient même signé un accord pour approfondir leur coopération dans le domaine culturel. Quel intérêt avait la RPD de Corée à ainsi ruiner une si belle entente ?

Pour accréditer le mobile de l’assassinat par la RPD de Corée, différentes hypothèses (d’origine sud-coréenne ou occidentale) ont été émises mais toutes restent à être étayées : Kim Jong-nam aurait voulu faire chanter les autorités de la RPD de Corée en menaçant de gagner la Corée du Sud, il aurait pu prendre la tête d’un gouvernement en exil, etc…

En tout état de cause, la Malaisie recherche des suspects nord-coréens, y compris un diplomate, dont plusieurs ont quitté la Malaisie peu après l'incident du 13 février. La RPDC parle quant à elle de manipulation et d'atteinte à sa souveraineté au regard du principe d’immunité diplomatique dont jouissent les diplomates, immunité consacrée par les conventions internationales et devant à ce titre être respectées. La Malaisie objecte que les circonstances de la mort justifieraient ce non-respect du droit international.

Les triades chinoises ont-elles assassiné Kim Jong-nam? Le mode de vie et les dettes potentielles de Kim Jong-nam, passant le plus clair de son temps à Macao, en font une cible potentielle pour certains intérêts économiques chinois liés aux triades. L’assassinat en dehors du territoire chinois traduirait alors une volonté de brouiller les pistes en évitant de se soumettre aux juridictions chinoises. En outre, les deux assassins présumées fréquentaient des milieux interlopes dont Kim Jong-nam aurait été un habitué.

Les services secrets sud-coréens ont-ils assassiné Kim Jong-nam? Cette hypothèse a des partisans, en Corée du Sud notamment, où les services secrets ont été impliqués dans des opérations pour tout ou partie non élucidées. Parmi les dernières affaires en date, la manipulation de l’élection présidentielle sud-coréenne de décembre 2012 et la dissimulation des causes du naufrage du ferry Sewol ayant entraîné en avril 2014 la mort de quelque 300 passagers - majoritairement des lycéens en voyage scolaire. En outre, une élection présidentielle doit intervenir dans les prochains mois en Corée du Sud, alors que la présidente conservatrice Park Geun-hye a été destituée par le Parlement en décembre dernier et que la Cour constitutionnelle devrait confirmer (ou non) d’ici la mi-mars ce vote de destitution. L’affaire fait opportunément le jeu des services secrets proches de la droite sud-coréenne. En tout état de cause, cette affaire détourne provisoirement l’attention de la presse des nombreux problèmes internes à la Corée du Sud (procédure de destitution, enquêtes pour corruption, manifestations massives…) et constitue donc un parfait contre-feu médiatique. Les citoyens sud-coréens ont une expression pour désigner ce genre d'incident spectaculaire impliquant la RPDC et survenant très opportunément à la veille d'échéances majeures en Corée du Sud : le « vent du Nord ».

Un autre pays a-t-il assassiné Kim Jong-nam? A supposer que le poison puissant soupçonné (le VX) ait été utilisé, peu de pays peuvent le produire. Parmi ces pays, il y a la Russie, laquelle est un partenaire important (à défaut d’être un allié) de la RPDC. Il est notoire qu'une partie des techniciens et scientifiques russes s’est engagée dans des activités illicites après la disparition de l’Union soviétique en 1991. Certaines agences des Etats-Unis, autres producteurs du VX, auraient aussi eu intérêt à commettre un attentat spectaculaire « sous fausse bannière », en l'occurrence celle de la Corée du Nord, pour faire avancer les intérêts stratégiques américains en Asie et particulièrement en Corée où l'installation prochaine du système antimissile THAAD soulève une vive opposition. Dans sa déclaration du 22 février, le Comité des juristes de la RPDC s'étonne d'ailleurs que la mise en place du système THAAD ait été évoquée lors d'une réunion ministérielle tenue le 16 février en Corée du Sud et ayant pour sujet l'incident de Kuala Lumpur.

Enfin, la possibilité selon laquelle Kim Jong-nam aurait simulé sa propre mort avec le recours à un tiers n’est pas à exclure. Kim Jong-nam, passionné de jeux et père de famille, a toujours préféré les joies d'une vie discrète aux lumières du pouvoir et aurait eu tout intérêt à passer pour disparu et ainsi recommencer une nouvelle vie.

Les mystères qui entourent la disparition d’un Nord-Coréen le 13 février 2017 à Kuala Lumpur doivent inciter à n'écarter aucune hypothèse et, en tout cas, à rester extrêmement prudent face à une histoire vendue un peu trop vite par les grands médias malgré ses trop nombreuses incohérences.

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23 février 2017 4 23 /02 /février /2017 20:10

Le 21 février 2017 à partir de 19h10, la chaîne française d’information internationale France 24 (version anglaise) a organisé son débat d'actualité sur le thème « La RPDC Etat voyou et la mort de Kim Jong-nam ». Le présentateur François Picard a ainsi animé un débat en anglais de 40 minutes où sont intervenus, sur le plateau, Dorian Malovic, chef du service Asie au quotidien La Croix et co-auteur (avec Juliette Morillot) d’un ouvrage intitulé La Corée du Nord en 100 questions, paru en 2016, Benoît Quennedey, vice-président de l’Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) chargé des actions de coopération et, en duplex depuis Washington, Harry Kazianis éditorialiste au think tank conservateur The National Interest.

Après avoir rappelé les faits sur le décès présumé de Kim Jong-nam à l’aéroport de Kuala Lumpur la parole a été donnée à Dorian Malovic qui a rappelé que la victime se déplaçait seule, sans gardes du corps, dans la partie low cost de l’aéroport. Selon lui « nous ne savons rien » de sûr ni sur l’identité de la victime ni sur la cause du décès. C’est également ce qu’a dit Harry Kazianis sans oublier de ressortir, ainsi qu’il le fera pendant le reste du débat, tous les poncifs néo-conservateurs sur la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Benoît Quennedey a resitué le débat en mettant en lumière le rôle des services de renseignement sud-coréens (acronyme anglais, NIS) dans la propagation de fausses informations « fake news », alors que la publicité donnée  à cet événement provient des milieux gouvernementaux de la République de Corée (Corée du Sud). Il a également expliqué la position de la RPD de Corée qui n’est pas associée à l’enquête et qui, quant à la demande du prélèvement d'ADN de proches, craint une manipulation. Dans la situation d’un pouvoir conservateur affaibli en Corée du Sud, le NIS et la droite sud-coréenne tirent opportunément profit de cet événement.

Le gouvernement malais qui essaie de maintenir une position équilibrée entre les deux Etats coréens apparaît gêné. Signe des bonnes relations entre la RPD de Corée et la Malaisie, l’entrée des citoyens nord-coréens en Malaisie se fait sans visa.

Sur le motif possible de l’assassinat, Benoît Quennedey a rappelé qu’il ne fallait pas anticiper les conclusions d’une enquête encore à ses début, et a mentionné le fait que Kim Jong-nam (s'il est effectivement la victime) a des liens avec les mafias chinoises et qu’aucune piste ne devait être privilégiée ou exclue a priori. Harry Kazianis a dit que Kim Jong-nam pouvait avoir été éliminé car représentant une menace pour le pouvoir nord-coréen. En effet, selon lui, il aurait pu être utilisé par la Chine dans le cadre d’un changement de régime en RPDC. Sur ce point, Dorian Malovic a répliqué que Kim Jong-nam, amateur de femmes et jet-setter, âgé de 45 ans, était désengagé du débat politique, et n'avait aucun poids en RPD de Corée.

Le débat s’est ensuite orienté sur l’annonce, le 19 février dernier par le gouvernement chinois, de l’arrêt des importations de charbon en provenance de RPDC, et ce jusqu’au 31 décembre 2017.

Benoît Quennedey a expliqué la position constante de la Chine sur la recherche de la stabilité dans la péninsule coréenne. La Chine applique les sanctions découlant des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. D’une part, cette annonce intervient quelques jours après le lancement d'un missile nord-coréen, et d’autre part la mise en oeuvre de mesures très pénalisantes pour la RPDC vient en réponse aux propos du président américain Donald Trump, celui-ci ayant dit que la Chine ne faisait pas le nécessaire pour trouver une solution au problème nucléaire nord-coréen.

Il a ensuite répondu à la question des raisons de ce tir de missile en le replaçant dans le cadre de la politique de la Corée du Nord, constante depuis 20 ans, visant à se protéger des Etats-Unis par la dissuasion nucléaire (dans une stratégie de dissuasion du faible au fort), tout en étant prête in fine à dialogue avec le pouvoir américain, mais en position de force.

Dorian Malovic a interprété cet essai comme un message à Donald Trump pour demander un dialogue sur la base du respect mutuel. Harry Kazianis, tout en expliquant la politique américaine de force, a dit que « les Etats-Unis devaient parler à la Corée du Nord » y compris sur le sol américain - ce qui témoigne d'une inflexion de la politique coréenne des républicains américains.

Le dernier thème du débat a porté sur la situation économique actuelle en RPDC, les réformes déjà engagées ne pouvant être approfondies du fait des sanctions et de la tension internationale selon Benoît Quennedey. Dorian Malovic a aussi évoqué ce thème en ajoutant que ceux qui quittent la Corée du Nord ne le font pas pour des raisons de dissidence politique mais pour des motifs économiques, traduisant l'aspiration des Nord-Coréens à accéder à une société de consommation, alors que les progrès économiques sont par ailleurs visibles en RPDC.

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11 février 2017 6 11 /02 /février /2017 17:15

Ce 10 février 2017, deux journaux français - l'un classé "à gauche", et l'autre "à droite" - ont publié le même article sensationnel, à quelques heures d'intervalle : dans un article non signé, L'Obs titre "Immense purge en Corée du Nord : un millier de morts" ; pour sa part, Les Echos affirment, dans un article de Yann Rousseau, que "en Corée du Nord, une purge fait 1000 morts" (l'article relevant par ailleurs de la rubrique "Cette nuit en Asie", un lecteur inattentif pourrait même croire qu'une purge aurait fait 1000 morts la nuit précédente en Corée du Nord...). Un scoop ? Non, une fausse information (fake news).

L'avantage des chiffres "ronds" est qu'ils impressionnent davantage : évoquer "1000 morts" dans des purges parle davantage que les statistiques disséminées depuis plusieurs mois, tentant d'agréger les dizaines ou les centaines de morts (faute de toute information fiable) qui seraient prétendument survenues en Corée du Nord suite à des procès politiques.

Cette "information" provenant de l'agence officielle... sud-coréenne Yonhap n'a été reprise que dans deux médias français dits "majeurs", ayant été occultée dans les médias internationaux des autres pays occidentaux qui ont, eux, jugé plus prudent de faire leur travail de journalisme (recouper l'information pour en vérifier la crédibilité et l'exactitude). En effet, de multiples indices montrent que nous sommes en présence d'une non-information, ou plus exactement d'une désinformation, dans la mesure où elle ne repose sur aucun fait étayé nouveau.


Premier indice, le total des "morts" ne fait pas 1000 : selon la source (Kang Cheol-hwan, directeur du Centre de la stratégie sur la Corée du Nord, acronyme anglais, NKSC), ce nombre se décomposerait en "415 cadres du Parti du travail, 300 cadres des institutions rattachées et 200 responsables du ministères de la Sécurité nationale", tous "fusillés en public", ce qui ne fait que... 915 personnes, en agrégeant des chiffres déjà arrondis à la centaine la plus proche, deuxième indice d'inexactitude de l' "information". 

Troisième indice, l'agrégation de données qui, quand bien même elles seraient étayées, se recouperaient nécessairement. Que sont ces mystérieuses institutions rattachés au Parti du travail ? Qu'entend-on par "ministères" (au pluriel) "de la Sécurité nationale" ? Pourquoi leurs membres ne sont-ils pas aussi considérés comme cadres du Parti, alors qu'en Corée du Nord les fonctions dans le Parti et l'appareil d'Etat se cumulent ?

Quatrième et cinquième indices, les sources elles-mêmes. Tout d'abord (quatrième indice), celles-ci sont indirectes, parcellaires et non recoupées : Kang Cheol-hwan ne peut que faire état des "témoignages" de "six hauts placés ayant fait défection en Corée du Sud"... Mais qui sont ces défecteurs anonymes ? Quand ont-ils fait défection ? Qu'ont-ils vu ? Comment leur témoignage a-t-il été recueilli ? Est-il fiable ? Ne serait-on pas plutôt en présence d'un discours rapporté avec de nombreux intermédiaires (untel a dit à untel qui a entendu dire d'untel tenant lui-même sa source d'untel...), où l'information est de moins en moins fiable à chaque niveau de "témoignage" rapporté.


Cinquième indice, l'organisme auquel appartient M. Kang, malgré son titre pompeux ("Centre de la stratégie sur la Corée du Nord"), n'est en aucun cas un organisme universitaire ou travaillant selon des méthodes scientifiques. Il s'agit de l'une des multiples officines néo-conservatrices, très proches des services de renseignement sud-coréens et américains (en l'occurrence, pour le NKSC, animée par des défecteurs nord-coréens en Corée du Sud, avec à sa tête le très médiatique Kang Cheol-hwan) qui les financent et, année après année, propagent rumeurs, désinformations et "fake news" sur la Corée du Nord.

Sixième indice, le NKSC choisit de s'exprimer à la veille d'une session du Conseil des droits de l'homme des Nations unies dont les travaux, très critiqués, ont déjà conduit à préconiser la comparution des dirigeants nord-coréens devant la Cour pénale internationale (CPI). Or, M. Kang entend justement soumettre l'affaire des 1000 morts devant la CPI... La coïncidence est-elle vraiment fortuite ?

Septième indice, l'incapacité du NKSC à donner plus d'un seul nom dans la liste des condamnés à mort, à savoir Jang Song-thaek - dont l'exécution a été rendue publique elle-même par les médias nord-coréens, il y a déjà plus de trois ans, et sur laquelle l'AAFC était revenue en déplorant par ailleurs l'application de la peine de mort. La différence, entre les autorités nord-coréennes et le NKSC, se situe donc dans une fourchette de 1 à 1000. En outre, comme l' "information" est passablement frelatée, Kang Cheol-hwan livre un second chiffre choc, tout aussi invérifié et invérifiable : 20000 personnes auraient été enfermées dans des camps de travail. Mais de qui s'agit-il ? Quand auraient-elles été enfermées et pour quelles raisons ? M. Kang ne le dit pas.

Huitième indice, le "scoop "du NKSC est relayé par Yonhap, la plus grande agence de presse sud-coréenne, semi-publique. Ce sont donc des "informations" qui tombent à pic au moment où le gouvernement sud-coréen, ultra-conservateur, est engagé dans une campagne dénonçant, précisément, les atteintes aux droits de l'homme en Corée du Nord. Cette diversion est particulièrement opportune, au moment où la chef de l'Etat vient d'être destituée par le Parlement et alors que la campagne électorale présidentielle a commencé de fait - une campagne où, comme de juste, les conservateurs (actuellement au plus bas dans les sondages) vont faire souffler "le vent du Nord" pour influencer l'électorat et se maintenir à la Maison bleue.


Et comme si ces huit indices n'étaient pas suffisant par eux-mêmes, Yann Rousseau des Echos a estimé pertinent d'occulter les doutes de l'agence Yonhap elle-même sur la fiabilité du chiffre de "1000 morts". En effet, selon l'article de Yonhap : "C’est la première fois qu’un tel nombre d'exécutions est avancé en conséquence de l’affaire Jang Song-thaek. A l’époque, les médias parlaient de quelques exécutions de cadres du Parti."

De "quelques" exécutions jusqu'à présent (selon les spécialistes et les médias sud-coréens) - disons 10, pour faire bonne mesure - nous serions donc passés à 1000... Une multiplication par 100 ! Ou bien le chiffre de 1000 recouvrirait-il alors une autre réalité... et laquelle ? Où est l'information dans ce maquis d'arguments d'autorité et de faits assénés sans aucune preuve matérielle ?

Confronté à devoir justifier l'énormité de son chiffre, Kang Cheol-hwan a dû concéder que "les témoignages sur le nombre de personnes exécutées ne sont pas parfaitement concordants". Un demi-aveu que, pas plus que la multiplication soudaine du nombre supposé des victimes, ni Yann Rousseau des Echos, ni les pigistes de L'Obs n'ont jugé opportun de faire part à leurs lecteurs.

Sources :

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27 janvier 2017 5 27 /01 /janvier /2017 20:26

Depuis sa défection en Corée du Sud avec sa famille, l'ancien numéro deux de l'ambassade nord-coréenne à Londres, Thae Yong-ho, multiplie les déclarations publiques qui, à chaque fois, font l'objet d'une large couverture médiatique. Dernier "scoop" en date : un entretien donné au Wall Street Journal dans lequeil il déclare que les jours du régime nord-coréen sont comptés car la révolte gronderait - tout particulièrement au sein des élites... Mais qui est ce transfuge dont les prédictions à la Nostradamus sont paroles d'évangile pour le journaliste lambda ?

A chaque apparition publique Thae Yong-ho a droit au même traitement médiatique : cette déclaration serait exceptionnelle, sans précédent, et il serait un des plus hauts dignitaires nord-coréens à avoir fait défection. Alors, forcément, il saurait bien des choses.

En quelques mois Thae Yong-ho a remplacé Hwang Jang-yop, ancien secrétaire du Parti du travail de Corée ayant fait défection au Sud en 1997, et qui, lui aussi, était devenu la coqueluche des néo-conservateurs de toutes nationalités, si désireux d'entendre un défecteur dire ce qu'ils voulaient entendre : la Corée du Nord doit s'effondrer, la Corée du Nord va s'effondrer. Hwang Jang-yop est mort en 2010, avant que ne soit dressé l'acte de décès de la République populaire démocratique de Corée. Mais il a un digne successeur en Thae Yong-ho.

Sauf que Thae Yong-ho n'est pas Hwang Jang-yop : diplomate en poste à l'étranger pendant de longues années avant sa défection, même pas chef de poste diplomatique, il ne recevait qu'un écho lointain et assourdi des luttes de pouvoir dans les cercles nord-coréens. Il n'avait accès à aucun dossier sensible, notamment sur les questions militaires, et n'était pas un intime des cercles dirigeants. En d'autres termes, ce n'est certainement pas un défecteur de haut niveau, seulement un diplomate parmi des centaines d'autres, bien que très proche des milieux de renseignement nord-coréens. Ses opinions n'ont aucune valeur d'expertise.

Alors, comment en est-il arrivé là ? A ce que chacune de ses déclarations soulève des dizaines d'articles dans la presse internationale, et récemment à plusieurs reprises dans les médias français ? Certes, ce qu'il a à dire est spectaculaire, mais comment en est-il arrivé à ce qu'il se fasse en plus passer pour ce qu'il n'est pas - un défecteur de si haut rang, à en croire les médias qui rapportent ses propos, qu'on finirait par croire qu'il était le bras droit de Kim Jong-un ?

La vérité est probablement à chercher dans le parcours de Thae Yong-ho. Sa famille n'avait pas à se plaindre de son mode de vie en Corée du Nord, ou à l'étranger. Il n'y a pas de victimes parmi ses proches - au contraire. Mais une fois arrivé en Corée du Sud, Thae Yong-ho a bien dû vivre, ne serait-ce que pour payer les très chères études de ses enfants. Alors, il a fait ce qu'il savait faire : du renseignement. Et il est allé se vendre aux services secrets sud-coréens, qui en ont fait un personnage mythique, un défecteur de haut rang, qui, pour continuer à toucher son salaire, doit dire ce que les services secrets répètent inlassablement : que la Corée du Nord va s'effondrer, que la Corée du Nord doit s'effondrer. Et Thae Yong-ho s'acquitte de ses nouvelles fonctions en serviteur zélé de ses nouveaux maîtres, avec le soutien de médias complices des services de renseignement sud-coréens qui savent faire fonctionner la grosse caisse médiatique et la machine à propagande

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24 décembre 2016 6 24 /12 /décembre /2016 12:27

La désinformation sur la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) ne doit rien au hasard : poursuivant des méthodes élaborées pendant la guerre froide, des fonds publics américains ou sud-coréens financent des officines dont le but est de produire des fausses informations à destination des médias. Dans le cas de la Corée du Nord, la ficelle est particulièrement énorme, mais elle marche sur un public occidental peu familier de l'Asie, et a fortiori de la Corée du Nord, comme le montre le chercheur russe Konstantin Asmolov dans un article traduit en français par Diane Gilliard pour New Eastern Outlook, paru sur le site Internet Le Saker francophone, et que nous reproduisons ci-après, après un précédent article de Konstantin Asmolov traduit par Diane Gilliard reproduit dans nos colonnes le 30 novembre 2016, sur la responsabilité des Etats-Unis dans le développement du programme nucléaire nord-coréen.

Corée du Nord : Comment Radio Free Asia a diffusé la série complète d’histoires à dormir debout
Par Konstantin Asmolov – le 26 novembre 2016 – Source New Eastern Outlook

Récemment, une organisation comme Radio Free Asia s’est hissée de manière magistrale au sommet de la liste des auteurs à l’origine de bobards. Cette entité à but non lucratif a son siège aux États-Unis et, théoriquement, occupe la même place que Radio Free Europe / Radio Liberty pendant la Guerre froide. Cependant, comme l’auteur a vécu à une époque où les émissions de Radio Liberty devaient être écoutées plus comme des «voix interdites ou prohibées», il a l’occasion de comparer la qualité et la fiabilité de l’information diffusée par les deux stations de radio. Bien que l’on puisse penser, après les informations sur les coupes de cheveux obligatoires à la Kim Jong-un ou sur la distribution de drogues aux ouvriers construisant des bâtiments nationaux importants économiquement, qu’il soit difficile de trouver quelque chose de plus odieux, l’autre jour, Radio Free Asia a réussi à se surpasser.

Voici une nouvelle info à sensation : le 28 août, le sarcasme a été interdit en Corée du Nord. Pendant les réunions massives d’ouvriers mourant de faim et réprimés, on leur dit que la satire ou le sarcasme, dans des discussions concernant les autorités nord-coréennes, seraient considérées comme un «acte d’hostilité», semblable à de la calomnie. Par exemple, des mots comme «C’est encore une embrouille américaine», que les Coréens utilisent seulement pour plaisanter sur la tendance de leur gouvernement à accuser le Département d’État des États-Unis pour tous leurs problèmes, ont été également interdits. En plus, la phrase «idiot, qui ne voit pas le monde qui nous entoure» avait été prohibée, car elle peut se référer au gouvernement du pays. Ceci a été largement dû au fait que des graffitis sur des murs de Pyongyang et dans d’autres villes contiennent beaucoup de telles expressions. C’est la manière dont le public manifeste son mécontentement croissant à l’égard des autorités, en dépit du fait que celles-ci ont toujours recouvert les graffitis de peinture pour empêcher les slogans de se répandre.

Comme d’habitude, une source anonyme des provinces nord-coréennes de Ryanggangdo et Chagangdo, dans l’arrière-pays pauvre et inaccessible, était à l’origine de la nouvelle à sensation. C’est d’ailleurs très pratique, puisque la vérification de l’existence de la source se heurte à de nombreux obstacles.

L’information a été reprise par plusieurs tabloïds, y compris le Sun, et ensuite elle suit mécaniquement le même chemin que la célèbre information sur l’exécution de Jang Song-taek en le faisant dévorer par une meute de chiens affamés. D’abord les tabloïds reprennent le message de RFA, puis les plus petits tabloïds le diffusent eux aussi et, au bout d’une chaîne de reprises, l’information devient plus raffinée et est encore retouchée. À la fin, la source originelle de l’information est inconnue, ayant été omise intentionnellement ou non.

Ce n’est cependant pas le premier tuyau de poêle de ce genre. Au cours des derniers mois, RFA a franchi d’importantes étapes pour remporter le titre de champion toutes catégories des histoires à dormir debout.

Le 10 juin, «il s’est avéré» que sous le couvert de Coréens du Nord sortant du pays pour travailler et gagner un peu de monnaie étrangère, la RPDC envoie des troupes au Moyen-Orient et que leur nombre a augmenté de manière importante ces deux… trois dernières années. C’est dû au fait que l’armée n’a pas besoin de payer de salaire aux soldats, et ils sont plus faciles à contrôler, puisqu’ils obéissent à des commandements militaires. En 2010, il y avait jusqu’à 70 personnes, mais comme il est suggéré ici, leur nombre a significativement augmenté depuis lors. D’ailleurs, avant d’être envoyés au Moyen-Orient, les militaires laissent pousser leurs cheveux pour ressembler à des civils. Donc si vous voyez quelqu’un qui ne ressemble pas à un soldat, ne vous y trompez pas, son apparence pourrait avoir été modifiée à dessein !

Le 17 juillet, la RFA a rapporté, citant Asia Press International comme sa source, que toutes les photos appartenant aux membres de la famille de Kim avaient été retirées des manuels scolaires pour ne pas laisser les enfants dessiner par dessus.

Il se trouve que leurs sources avaient obtenu 75 types de livres différents sans portraits de Kim Il Sung, Kim Jong Il ou Kim Jong-un. La RFA a été muette sur le fait que de tels portraits ne pouvaient pas se trouver dans des manuels de mathématiques, par exemple ; et que le niveau de la tendances au culte de la personnalité envers Kim est différent de ce que l’on dit sur lui, qui est souvent diabolisé. Et le bobard affirmant que «tout le monde est invité à adopter la même coupe de cheveux que le leader» vient de cette tendance.

Le 15 juillet, on nous a parlé de l’attaque des «forces de la résistance» contre la patrouille frontalière – un soldat a été tué, un autre gravement blessé. La source a dit que les soldats ont été arrosés de pierres, et qu’ils se sont enfuis, oubliant leurs munitions.

Le 10 août, la RFA a fait un reportage sur la famine et les troubles au sein de l’armée de Corée du Nord, où les soldats ne sont nourris qu’avec de la soupe liquide, sans viande : la raison en est la corruption généralisée et le vol parmi les officiers.

Le 26 septembre, on nous a parlé de l’exode massif des habitants du nord vivant dans les zones frontalières de la Corée du Sud, où il y a eu de graves inondations. Comment ils ont réussi à s’échapper à travers tout le pays (les inondations ont touché les régions du nord) et pourquoi cette information n’est pas apparue dans les médias de Corée du Sud reste obscur. Cependant, Free Asia sait mieux. Il s’avère que l’exode de masse est intervenu après que le système de barbelés surveillant la frontière et les passages a été endommagé par les inondations. Aujourd’hui, la région est soumise à des inspections spéciales et des interrogatoires, qui ne se limitent pas uniquement aux questions relatives au contrôle de la frontière, mais aussi à la suppression de l’usage des téléphones mobiles ou au fait que les habitants regardent des films et des séries télévisées sud-coréennes.

Le 5 octobre, se référant au rapport sur l’état du réseau à haut débit présenté par l’Union internationale des télécommunications (UIT) et l’UNESCO, Free Asia a rapporté que le taux d’utilisation d’Internet par les Coréens du Nord est inférieur à 1%, ce qui correspond à la République de Nauru, située dans l’île corallienne du même nom, dans le Pacifique occidental, dont il est connu qu’elle n’était pas incluse dans le rapport et que les méthodes de calcul elles-mêmes sont discutables.

Enfin, le 14 novembre, RFA a rapporté que la RPDC a lancé une campagne de collecte de feuilles d’aluminium, pour les utiliser dans la fabrication de filets de camouflage. Même les écoliers auraient pris part à la collecte de ce «matériel stratégique», recherchant des paquets de cigarettes vides fabriqués avec des feuilles d’aluminium. Selon les sources de l’émission de radio, les feuilles sont utilisées pour fabriquer des filets de camouflage qui interfèrent avec les satellites espions américains. Les autorités ont pressé les citoyens de soutenir les forces armées nationales et de collecter des feuilles, qu’elles nomment un «matériel stratégique». L’auteur admire l’habileté des propagandistes à faire exploser le mème Internet à propos des «chapeaux en feuilles d’étain» utilisés par un grand nombre de théoriciens du complot pour contrer les «armes psychotroniques».

Bon, on ne peut que souhaiter à Radio Free Asia un succès continu dans la diffusion ce genre d’histoires à dormir debout. L’auteur a hâte d’obtenir l’«information» que la Corée du Nord a tué tous les phoques pour la cinquième fois ou sacrifié des enfants en masse au serpent-crapaud géant. Dans l’ensemble, c’est la Corée du Nord, un lugubre régime tyrannique. Comment peut-on être sûr à 100% qu’il n’y a pas de serpent-crapaud ?

L’auteur a déjà écrit auparavant qu’il est grand temps pour la Corée du Nord de modifier sa propagande, car son style anachronique conduit à des contradictions ou à des déclarations sur la situation actuelle, qui réfutent le point de vue de l’ennemi, conduisant à une réaction contraire à celle attendue parmi l’auditoire européen ou russophone. Néanmoins, il semble que Radio Free Asia et d’autres médias propagandistes similaires se sont fixé pour tâche de rattraper les Nord-Coréens dans l’odieux et l’extravagant. Au point qu’à l’avenir, peut-être, cette diabolisation à outrance cessera d’être efficace.

Konstantin Asmolov, docteur en Histoire, premier chercheur associé au Centre d’études coréennes de l’Institut pour les études sur l’Extrême-Orient de l’Académie des sciences de Russie, exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Nadine pour le Saker francophone

Source :

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18 décembre 2016 7 18 /12 /décembre /2016 13:05

Le 14 décembre 2016, l'émission de géopolitique du collectif Comaguer (Comprendre et agir contre la guerre), animée par Bernard Genet sur la radio associative marseillaise Radio Galère le deuxième mercredi de chaque mois de 20h à 21h30, était consacrée à la Corée. Les intervenants de cette émission étaient Robert Charvin et Benoît Quennedey, tous deux vice-président de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC).

Comme toujours, l'émission a d'abord resitué de manière très pédagogique la question coréenne, caractérisée par la division du pays entérinée par la guerre de Corée (1950-1953) après la libération de la colonisation japonaise en 1945, dans son contexte géographique, historique et politique : la Corée a développé une culture nationale spécifique très ancienne, marquée par l'influence de la Chine mais distincte des civilisations chinoise et japonaise. L'unité nationale coréenne a été réalisée il y a plus de 1 000 ans - faisant ressortir avec d'autant plus d'acuité le drame qu'a constitué la partition du pays. Par ailleurs, de par sa situation géographique, la Corée a été victime des rivalités et appétits de ses grands voisins, japonais, chinois et russe, et dans la période la plus récente, les Etats-Unis - ce qu'illustre le proverbe coréen "Quand les baleines se battent, les crevettes trinquent" - les Coréens figurant les crevettes et les puissances voisines de la Corée les baleines. Aujourd'hui encore, l'intérêt américain pour la péninsule coréenne - où ils entretiennent toujours 28.500 GIs dans le Sud - s'inscrit dans le recentrage de la puissance militaire américaine sur la région Asie-Pacifique. De ce point de vue, les programmes nucléaire et balistique de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) servent de prétexte commode à Washington pour justifier sa présence militaire croissante, tout autant - sinon davantage - justifiée par la volonté d'endiguer la montée en puissance de la Chine et de la Russie.

Benoît Quennedey a rappelé que l'Association d'amitié franco-coréenne avait été fondée en 1969, pour promouvoir la paix et la réunification dans la péninsule coréenne, et à cette fin favoriser les échanges entre la France et l'ensemble de la Corée, à une époque où Séoul, au Sud, était toujours officiellement la capitale de la République populaire démocratique de Corée, et où la Corée du Nord était traitée de "régime fantoche" par la Corée du Sud. L'ouverture d'un dialogue intercoréen, engagé en 1972 (mais interrompu dès 1973) et mené de manière constante depuis 1991, a permis de faire coïncider les représentations (un pays, deux Etats) avec la réalité géopolitique. Ces évolutions ont eu lieu à la faveur de la démocratisation de la Corée du Sud, et après une sévère pénurie alimentaire au Nord qui a conduit à la mise en oeuvre, à partir de 2002, de mesures économiques ayant fait évoluer le système économique et social. La situation politique récente en Corée du Sud a cependant rappelé la fragilité du processus pour la démocratie et la paix : à partir de 2008, le retour au pouvoir des conservateurs à Séoul a sapé l'ensemble des fondements du rapprochement Nord-Sud, tandis que la Corée du Sud s'est engagée sur une voie de plus en plus autoritaire. A cet égard, le récent  vote par le Parlement d'une motion de destitution de la Présidente sud-coréenne Mme Park Geun-hye a ouvert l'espoir du retour à Séoul d'un pouvoir démocratique ne favorisant plus l'escalade des tensions et la marche à la guerre. 

Pour sa part, Robert Charvin a souligné comment la République populaire démocratique de Corée avait été amenée à se doter d'une force d'auto-dissuasion nucléaire pour prévenir le risque de connaître un sort analogue à ceux de l'Irak en 2003 et de la Libye en 2011 - la Corée du Nord plaidant par ailleurs pour un désarmement nucléaire général et conjoint de l'ensemble des Etats dotés de l'arme nucléaire, tandis que les Etats-Unis, si prompts à renforcer les sanctions contre la Corée du Nord après chaque essai nucléaire ou lancement de satellite de Pyongyang, poursuivent pour leur part leur programme nucléaire, mais par d'autres moyens que les essais souterrains conduits par la RPDC. Face à cette politique du "deux poids deux mesures" traduisant un détournement des principes du droit international public, les Nord-Coréens entendent construire le "socialisme à la coréenne", dans le respect de leur souveraineté et de leur indépendance nationale.

Ecouter l'intégralité de l'émission de Comaguer à l'adresse suivante (émission du 14 décembre 2016) :

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16 décembre 2016 5 16 /12 /décembre /2016 18:02

Réuni le 15 décembre 2016 à Paris, le comité national de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) a dressé le constat des opportunités nouvelles créées par le contexte international, et plus particulièrement sud-coréen, pour la réunification et la paix en Corée. Cette situation pose plus que jamais la nécessité pour l'AAFC d'être à l'avant-garde du combat pour mieux faire connaître et comprendre les enjeux de la question coréenne, alors que la réunion du comité national de l'AAFC coïncidait avec le cinquième anniversaire de la disparition du dirigeant Kim Jong-il, le 17 décembre 2011.

S.E. M. Kim Yong-il, délégué général de la République populaire démocratique de Corée en France, ambassadeur auprès de l'UNESCO

S.E. M. Kim Yong-il, délégué général de la République populaire démocratique de Corée en France, ambassadeur auprès de l'UNESCO

Une semaine après le vote de destitution de la Présidente sud-coréenne Mme Park Geun-hye par le Parlement sud-coréen, le comité national de l'AAFC s'est félicité qu'un obstacle majeur ait ainsi été levé à la reprise du dialogue intercoréen, la période nouvelle étant par ailleurs riche de promesses pour mettre fin à la dérive autoritaire à l’œuvre en Corée du Sud depuis le retour au pouvoir à Séoul des conservateurs en 2008. Si le vote de destitution de Mme Park Geun-hye est d'abord et avant tout le résultat de la mobilisation de millions de Coréens, dans la péninsule et à l'étranger, l'AAFC a pour sa part pleinement soutenu les initiatives prises par les Coréens de France, qui ont organisé trois manifestations à Paris depuis le 12 novembre 2016.

 

Dans ce contexte, des représentants de l'AAFC sont intervenus dans les médias coréens et français pour apporter témoignages et analyses. Cependant, la couverture des événements a encore révélé une méconnaissance profonde de la situation de la Corée par un trop grand nombre de journalistes français – comme l'a montré récemment une nouvelle fois un reportage au journal télévisé de 20 heures sur France 2 ayant accumulé, le 10 décembre dernier, erreurs factuelles et interprétations douteuses. C'est pourquoi les blogs de l'AAFC, dont les analyses sont de plus en plus lues et reprises, se doivent de poursuivre en temps réel leur travail d'information et d'explications. Un autre objectif pour l'AAFC est de continuer à s'adresser le plus largement à tous les secteurs de l'opinion publique française : deux des candidats à la primaire du parti les Républicains pour l'élection présidentielle de 2017 (Alain Juppé et Bruno Lemaire) ont ainsi répondu au questionnaire qu'avait adressé l'AAFC à tous les candidats à cette élection. L'AAFC interrogera ensuite l'ensemble des candidats à l'élection présidentielle, comme elle l'avait fait en 2007 et 2012.

 

Par ailleurs, S.E. M. Kim Yong-il, délégué général de la République populaire démocratique de Corée en France, ambassadeur auprès de l'UNESCO, a rejoint les participants au comité national de l'AAFC, avec M. Ri Ho-yong, conseiller à la délégation générale, pour échanger sur la situation nationale et internationale en Corée avec l'ensemble des participants. M. Kim Yong-il a également remercié l'AAFC pour son soutien aux victimes des inondations de cet été en Corée, en soulignant que l'effort de relogement des sinistrés et de reconstruction des infrastructures détruites avait pu être mené à bien. L'AAFC poursuit sa campagne d'appel à dons, menée conjointement avec le Secours populaire français, pour venir en aide aux victimes des inondations, afin de répondre aux besoins exprimés à plus long terme.


La réunion du comité national de l'AAFC coïncidait, enfin, avec le vingt-cinquième anniversaire de l'accord de base intercoréen du 13 décembre 1991, ayant ouvert la voie à une normalisation des relations Nord-Sud et conduit à l'entrée conjointe des deux Etats coréens aux Nations Unies, et le cinquième anniversaire de la disparition du dirigeant Kim Jong-il de la RPD de Corée, qui avait dirigé son pays dans un contexte de difficultés dans précédent. En accueillant les sommets intercoréens de juin 2000 et octobre 2007, il avait par ailleurs posé les fondements d'une ère nouvelle de coopérations et d'échanges entre le Nord et le Sud de la péninsule.

 

« Qui était Kim Jong-il ? »

 

La légende noire qui entoure la RPD de Corée se concentre fréquemment autour des figures de ses dirigeants. Pourtant, comme l'ont rappelé Juliette Morillot et Dorian Malovic dans un ouvrage récent (La Corée du Nord en 100 questions, éditions Tallandier, 2016), dans le chapitre 19 précisément intitulé « Qui était Kim Jong-il ? », le Président Kim Jong-il a montré d'indéniables qualités non seulement humaines, mais aussi de capacités de direction de son pays.

 

"Selon certains transfuges, l'homme avare de paroles publiques pouvait alors faire preuve d'une grande éloquence [dans les rencontres en petit comité] et ne manquait pas d'humour (…)

 

Travailleur acharné, il ne s'endormait jamais avant 2 ou 3 heures du matin, exigeant de son entourage qu'il veillât aussi tard que lui afin de répondre immédiatement à ses questions. Très méfiant à l'égard des étrangers, les rares diplomates ou chefs d'Etat qu'il rencontra le trouvèrent « cultivé » (Vladimir Poutine), « intelligent et d'un commerce agréable » (Kim Dae-jung). Et Madeleine Albright, lui ayant remis une quinzaine de questions pointues sur le programme nucléaire, fut extrêmement surprise de le voir répondre avec une grande précision technique sur chacun des points soulevés, sans même faire appel à ses conseillers..."

 

(Juliette Morillot et Dorian Malovic, op. cit., p. 87)

 

Dirigeant compétent, cultivé, travailleur, Kim Jong-il était à mille lieux de l'homme dépeint par la propagande sud-coréenne et américaine, alimentée par les services secrets de ces deux pays. Les mêmes services secrets qui ont dissimulé le fait que Mme Park Geun-hye, la Présidente sud-coréenne, était quant à elle sous l'influence de sa gourou Choi Soon-sil... Cette seule comparaison devrait inciter à la prudence certains médias français, qui reprennent aujourd'hui avec la même complaisance les récits douteux de certains réfugiés nord-coréens manipulés par les services de renseignement sud-coréens, qui décrivaient hier le Président Kim Jong-il de la Commission de la défense nationale de la RPD de Corée sous un jour totalement étranger aux témoignages dignes de confiance de ceux qui ont pu, effectivement, le rencontrer et le connaître.

 

 

 

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12 décembre 2016 1 12 /12 /décembre /2016 20:14

Dans le cadre de la crise actuelle en Corée du Sud, le site de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) est une source de référence, largement consultée et utilisée par les journalistes français - c'est ainsi que l'AAFC a évoqué, avant les médias français, comment Choi Soon-sil était la gourou de la Présidente Park Geun-hye. En outre, des responsables de l'AAFC sont intervenus dans les médias, soit à titre de participants aux manifestations en France pour obtenir le départ de la chef de l'Etat, soit en tant qu'experts des questions coréennes. 

Dans son édition du 27 novembre 2016, le média coréen Channel A a donné la parole à l'un des participants français à la manifestation parisienne du 26 novembre, organisée par les Coréens de France, et à laquelle l'AAFC avait apporté son soutien. Or il s'agissait d'Olivier Bouchard, membre du bureau national de l'AAFC, qui a exprimé les attentes de l'opinion publique coréenne quant à un départ du pouvoir de la chef de l'Etat sud-coréenne le plus vite possible.

Olivier Bouchard

Olivier Bouchard

Des membres de l'AAFC sont également intervenus en tant qu'experts des questions coréennes. C'est ainsi que, le 8 décembre 2016, Benoît Quennedey, vice-président de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) était en direct sur la chaîne d'information continue France 24 - à 22h30 sur le canal français et à 23 h sur le canal anglais. A la veille du vote de destitution de la Présidente Park Geun-hye par le Parlement, il a souligné que la colère des Coréens venait de loin - ayant été exacerbée par le comportement des autorités coréennes lors du naufrage du ferry Sewol, où ont péri 304 Coréens, majoritairement des lycéens en voyage scolaire. Les manifestations ininterrompues en Corée associent ainsi une nouvelle génération de jeunes Coréens qui s'engagent souvent pour la première fois en politique, étant porteurs d'aspirations nouvelles contre la confiscation du pouvoir par une minorité politique et économique.

Benoît Quennedey

Benoît Quennedey

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12 décembre 2016 1 12 /12 /décembre /2016 13:37

Le samedi 10 décembre 2016, le journal télévisé de 20 heures de France 2 (présenté par Laurent Delahousse) a raconté une bien étrange histoire pour narrer le vote de la motion de destitution de la présidente sud-coréenne Mme Park Geun-hye (l'émission peut être vue en replay à cette adresse). Dans le but sans doute d'opposer le présent et le passé, France 2 se lance dans un portrait de Mme Park Geun-hye qui prend des allures de panégyrique, au point de se demander si une opération aussi grossière de réécriture de l'histoire relève de la manipulation ou de la mésinformation.

"C'est la fin d'une histoire incroyable", nous dit France 2 pour parler de Park Geun-hye. Après avoir occulté le fait qu'elle était la fille du président le plus autoritaire qu'ait connu la Corée du Sud dont elle a repris les conseillers, le court reportage de France 2 (commentaire de Claude Sempère et montage de Hélène Possetto) se lance dans une réécriture de l'histoire qui est, elle, proprement incroyable :

- prétendre tout d'abord que Mme Park était populaire dans l'opinion dès son accession au pouvoir alors que celle-ci était le fruit d'une élection manipulée par une ingérence massive des services de renseignement et sur laquelle pèsent de lourds soupçons de fraude, et qu'en conséquence la moitié de l'opinion publique sud-coréenne lui était immédiatement hostile (les plus engagés exigeant même son départ, suite à une élection jugée non légitime) ;

- affirmer ensuite que, "au pouvoir elle défendra toujours les intérêts de son pays face à la dictature de la Corée du Nord", dans un coup de chapeau incongru à une ligne politique sud-coréenne militariste et intransigeante qui a conduit la péninsule au bord du gouffre de la guerre, tout en occultant les atteintes massives aux libertés publiques en Corée du Sud initiées par Mme Park elle-même ; s'agissant par ailleurs des intérêts nationaux de la Corée du Sud, Mme Park n'a pas hésité à les brader dans un accord très controversé sur le douloureux contentieux nippo-coréen des "femmes de réconfort", les anciennes esclaves sexuelles de l'armée japonaise avant et pendant la Seconde guerre mondiale ;

- enfin, cerise sur le gâteau, prétendre qu'elle a toujours été aux côtés des familles du naufrage du ferry Sewol, alors qu'au contraire c'est sa gestion de cette crise qui a précipité sa chute (où était-elle dans les 7 heures qui ont suivi le naufrage ? pourquoi a-t-elle refusé toute intervention des équipes de secours qui auraient pu sauver les vies de 304 personnes ?), tandis qu'elle s'est ensuite acharnée à refuser d'accéder aux demandes des familles des victimes, accusées d'être manipulées par l'extrême-gauche.

Le portrait qui est fait de la Présidente Park a soulevé une tempête de protestations des Coréens en France, que le site Internet de la chaîne de télévision a accepté de publier, ce qui est tout à son honneur - mais malheureusement tout en bas de page, si bien que peu d'internautes iront spontanément lire ces commentaires. Pour autant, la rédaction de France 2 n'a pas jugé utile de faire le moindre rectificatif.

Par ailleurs, comment les journalistes de la chaîne de télévision en sont-ils arrivés à commettre autant d'erreurs ? Le discours que la chaîne a servi à des millions de téléspectateurs était, au mot près, celui que serinent les services secrets sud-coréens, passés maîtres dans l'art de manipuler l'opinion publique occidentale (sur la Corée du Nord bien sûr, mais aussi sur leur propre pays). Les journalistes de France 2 ont-ils été sous cette influence occulte des services de renseignement sud-coréens, sinon de leurs porte-paroles patentés ? Ou faut-il y voir le simple fruit du travail bâclé, de la paresse intellectuelle et, disons-le, la manifestation du manque d'intérêt pour un pays (la Corée du Sud) vu comme lointain et dans son seul rapport à la Corée du Nord (d'où peut-être la louange à la politique intercoréenne très contestable et contestée de l'administration Park Geun-hye) ?

Le minimum de la déontologie journalistique est de vérifier les informations et de confronter les sources, ce qui n'a manifestement pas été fait, et est d'autant plus dommage qu'il n'était pas difficile de joindre ceux qui ont organisé les manifestations contre Mme Park en France (ou qui y ont simplement participé), ou encore les universitaires et auteurs spécialistes de la Corée, indépendants de l'ambassade sud-coréenne en France, dont la neutralité est entachée par la proximité personnelle de l'ambassadeur avec Mme Park Geun-hye. Espérons que, à l'avenir, France 2, saura retrouver ses réflexes élémentaires du métier de journaliste.

Document source :

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1 octobre 2016 6 01 /10 /octobre /2016 18:31

Le 1er octobre 2016, le Professeur Robert Charvin, ancien doyen de la faculté de droit de Nice et par ailleurs vice-président de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC), est intervenu à l'amphithéâtre Lefebvre de la Sorbonne, dans le cadre du séminaire "Marx au XXIe siècle : l'esprit et la lettre", organisé notamment par le Professeur Jean Salem. En traitant le thème "Comment peut-on être Coréen du Nord... ou Russe ? L'escamotage de la géopolitique" devant un public de 80 personnes, Robert Charvin est revenu sur une question qu'il a abordée dans plusieurs de ses ouvrages, notamment Comment peut-on être Coréen (du Nord) ? et Faut-il détester la Russie ? Nous présentons ci-après le point de vue de Robert Charvin. 

"Comment peut-on être Coréen du Nord... ou Russe ?" Conférence de Robert Charvin à la Sorbonne

L'Occidental n'aime plus personne - ni le Chinois, ni l'Arabe, ni l'Africain. Mais dans la hiérarchie des détestations, les Nord-Coréens et les Russes occupent une place particulière - toute société n'a-t-elle pas besoin de se fabriquer des ennemis ? Dans un contexte de confusion idéologique, le discours sur les droits de l'homme se pare d'une indignation sélective : si le droit d'ingérence est invoqué pour justifier des interventions au nom de la liberté d'expression et de la démocratie, jamais il ne servira à libérer des syndicalistes emprisonnés ou à faire respecter les droits des travailleurs. Les régimes autoritaires alliés des Occidentaux peuvent continuer de bafouer impunément les libertés démocratiques.

La Russie, et depuis bien plus longtemps la Corée du Nord, sont soumises à des embargos occidentaux : ces peuples, assiégés, se sont dès lors constitués en citadelles. Leurs réactions sont logiques au regard des principes universels de la géopolitique, malheureusement oubliés dans les pays occidentaux. Ainsi, la Corée du Nord, pays de 25 millions d'habitants entouré de puissants voisins, marqué par le double drame de la colonisation japonaise et de la guerre de Corée, a développé des capacités d'autodéfense (y compris nucléaires), dans une logique obsidionale qu'on retrouve dans d'autres pays et à d'autres époques - par exemple en France dans les relations avec l'Allemagne entre 1871 et 1914. La géopolitique est ainsi la mise en oeuvre de ce qui est possible et souhaitable dans les relations entre puissances dans l'ordre international : pour garantir la paix, la sécurité internationale et le développement des nations, il est utile que se constituent des pôles de puissance qui garantissent des équilibres. La Russie aspire légitimement à constituer l'un de ces pôles, ce que contredit l'installation de troupes de l'OTAN directement à ses frontières. Moscou et Pyongyang ont ainsi mis l'accent sur la souveraineté des nations, qui n'est en aucun cas un repli sur soi mais l'affirmation par chaque Etat de son droit à maîtriser ses propres décisions de politique étrangère, sans ingérence extérieure. Contrairement aux Américains, les Russes et les Nord-Coréens n'entendent pas, quant à eux, imposer leur système politique à d'autres pays.

La reconstitution d'une puissance militaire russe n'a pas davantage à être condamnée que l'augmentation des budgets militaires américain ou français. Les Russes, contrairement aux Occidentaux, assument pour leur part pleinement leur histoire, qui s'inscrit dans un patriotisme incompris en Occident. Leur culture eurasiatique, spécifique, ne justifie pas qu'ils soient rejetés dans un autre "barbare", comme le font les prescripteurs d'opinion occidentaux. Manifestement, les Russes ne sont plus bolchéviques mais ont toujours le couteau entre les dents, étant stigmatisés comme "complices de la barbarie". Quand les victimes civiles des guerres occidentales (forcément des guerres justes et des guerres propres) sont escamotées par les médias, celles des interventions militaires russes sont mises au premier plan.

S'agissant des Nord-Coréens, qu'ils le veuillent ou non, qu'ils l'assument ou pas, leur culture politique est profondément empreinte de confucianisme - ce qui génère des relations paternelles entre les dirigeants et le peuple. Ils ont choisi de ne compter que sur leurs propres forces et ont érigé ce principe en règle majeure d'un travail idéologique jugé fondamental, refusant déjà, hier, d'être membre du Conseil économique d'assistance mutuelle (CAEM) ou de relier leur réseau d'électricité à celui soviétique, comme le leur proposait Nikita Khrouchtchev. Ils ont payé le prix de cette indépendance lors des difficultés des années 1990, mais ont maintenu leur système politique et social.

La Corée du Nord offre un terrain privilégié pour permettre à des journalistes d'affirmer n'importe quoi, sans risque d'être contredit. Le discours hostile à la République populaire démocratique de Corée a même gagné les rangs des partisans de ceux qui se disent partisans du socialisme, quitte à oublier que, par la propriété collective des moyens de production, la Corée du Nord est bien un Etat socialiste. La détestation de la Corée du Nord a aussi une logique qu'explique la géopolitique : la nécessité pour les Etats-Unis de maintenir des troupes dans des positions avancées en Asie de l'Est, à proximité de la Russie et de la Chine, au prix de compromissions avec les dirigeants sud-coréens en matière de droits de l'homme.

Quand la France se permet de donner des leçons sur le nucléaire nord-coréen, alors qu'elle assume l'héritage gaullien de l'arme nucléaire comme garantie de son indépendance, l'histoire des négociations sur la question nucléaire en Corée montre le besoin de dialogue et de négociations, pour anticiper et prévenir les conflits - selon des principes conformes au droit international - et non l'invocation de pseudo-négociations après des interventions militaires et des ingérences dans les affaires intérieures d'autres pays.

"Comment peut-on être Coréen du Nord... ou Russe ?" Conférence de Robert Charvin à la Sorbonne

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